Classée 7-9e sur la grille de départ (ex-aequo avec l’Arménie et l’Angleterre), l’équipe de France a terminé 9e, mais en ayant joué pour le podium jusque dans les derniers instants. Un suspense à couper au couteau et des règles de départage improbables, ce sont bien les Olympiades d’Echecs !
Je suis arrivé à Batumi (Géorgie) trois jours avant le début de ce véritable Championnat du monde des Nations, accompagné d’Etienne (Bacrot), mais aussi de Romain (Edouard), qui nous a rejoints lors de notre étape à Istanbul. Le reste de l’équipe de France est arrivée le samedi 22, après un long périple également. Nous avons eu le temps de nous acclimater sur place, et de profiter d’un hôtel de très bonne qualité pour nous reposer et nous préparer.
L’organisation du tournoi était de très bon niveau, même si la salle de jeu était un peu trop petite, mais je comprends bien la difficulté de placer plus de 660 échiquiers dans un environnement confortable !
Notre hôtel n’était pas très éloigné de la salle de jeu, mais il y a eu un problème au départ avec les navettes, dont l’horaire était beaucoup trop précoce. Donc, nous avons plutôt pris des taxis, mais c’est un détail…
Une des nouveautés du tournoi était le dispositif « anti-cheating », censé traquer les éventuels appareils électroniques cachés sur soi, mais il ne m’a pas entièrement convaincu. J’ai moi-même été testé après ma partie contre Bilel Bellahcene, par un détecteur placé notamment derrière les oreilles. Si j’avais eu un appareil sur moi, j’aurais eu le temps de m’en débarrasser avant d’arriver à la salle d’examen. Dispositif à améliorer !
L’ambiance au sein de l’équipe était au beau fixe, et c’était également le cas chez les filles. La plupart du temps, l’équipe de France se réunissait après le repas du soir. Nous avions emmené énormément de jeux de société avec nous, et ils nous ont permis de meubler agréablement les soirées !
J’ai commencé le tournoi sur le banc, ce qui est la procédure classique au sein des plus fortes équipes, qui ménagent ainsi leur premier échiquier pour une première ronde « facile ». Nous avons maîtrisé les trois premières rondes, en ne lâchant qu’une nulle sur 12 parties (4-0 contre le Yemen et l’Uruguay, 3.5-0.5 contre l’Algérie). Nous nous sommes ainsi positionnés à la tête du tournoi. Mais petite note négative, Romain est tombé malade avant la deuxième ronde, et il a rarement joué par la suite.
Voici mon entrée dans le tournoi face au GMI Uruguayen Rodriguez Vila :
34…Cxc1 35.Td5+ (35.Txb2 Dxb2 36.Dxc1 Fb3+ 37.Cc2 et après l’échange général en c2, le pion h décide) 35…Rc6! (mais pas 35…Fxd5? 36.Dxd5+ Rc7 37.Dc5+ Rb8 38.De5+! et le Roi noir n’échappe pas au perpétuel) 36.Tc5+ (36.Dxc1 Fxd5) 36…Rb6 37.Dd8+ Rxc5 et la Dame blanche esseulée ne peut pas donner perpétuel. Le GMI uruguayen abandonna après 38.Dc7+ Rb5 39.c4+ Ra6.
J’ai eu le lendemain une partie très délicate contre Bilel Bellahcene, qui m’a malmené dès le début, avant de finir par craquer complètement dans une finale de Tours archi nulle.
Les choses vraiment sérieuses ont commencé pour l’équipe avec la ronde 4 contre le Vietnam. Heureusement, Christian (Bauer) a fait le job sur le 4e échiquier, nous permettant de nous imposer après une fin pacifique dans les trois autres parties (Vietnam-France 1.5-2.5).
Le choc de la ronde 5 contre la Pologne s’est mal déroulé et je dois avouer que j’ai été rapidement inquiet en voyant les positions sur tous les échiquiers. Je n’étais pas plus soucieux que ça pour Laurent (Fressinet), mais j’aurais peut-être dû l’être ! J’étais plus inquiet pour Etienne, et pas certain de la position de Christian. En tout cas, il était clair pour moi qu’il fallait que je score, surtout vu la position que j’avais. Ma partie s’est d’ailleurs déroulée au mieux.
Ici, j’attendais le coup critique 22…Cc4, sur quoi j’avais prévu 23.De2 Cxb2 24.Td8!? f6 25.Ch4, oubliant 25…De5! qui égalise probablement. Mais par la suite, la partie s’est avérée très incertaine, et sans doute difficile à jouer pour les noirs, confrontés à une initiative désagréable pour le pion. Et le fait est que sa position a vite dégénéré, et j’ai même été surpris par le nombre de gains que j’avais à ma disposition ! Je n’ai peut-être pas forcément été le plus précis, mais j’ai fait les bons choix pratiques, ne laissant aucune chance aux noirs.
Malgré ma victoire, le match en lui-même a très mal tourné, puisque nous avons perdu les trois autres parties. Tout s’est mal goupillé pour Laurent et Etienne, Christian a du coup décidé de forcer et au final, (France-Pologne 1-3) !
Un premier coup d’arrêt, face à une équipe de Pologne qu’il faut d’ailleurs féliciter pour son parcours d’ensemble exceptionnel.
La journée de repos est donc tombée à point pour récupérer, et de cette défaite, et de la Bermuda Party !
Nous avons repris les hostilités contre l’Angleterre, et je dois dire que j’ai produit une partie assez terne contre Adams.
Ici, après le normal 13…f5, j’avais une très facile égalité. Mais j’ai voulu prendre le pion par 13…Cxd5 14.cxd5 (14.Cxd5?! Ce7! est peut-être déjà un peu mieux pour les noirs) 14…cxb4 15.axb4 (15.dxc6? Dxc6+) 15…Cxb4, sans mesurer qu’après 16.Da4! Dxa4 17.Cxa4, les blancs obtenaient une compensation adéquate sans aucune perspective de gain pour moi.
Après la nulle rapide avec les blancs de Romain, qui tentait un retour dans l’équipe, la situation du match est devenue tendue. En effet, Etienne se trouvait en grande difficulté au 2, mais il s’en est finalement bien sorti. (Angleterre-France 2-2) après 4 nulles, un résultat certes frustrant, mais pas illogique…
Nous avons ensuite remporté un match important contre la Hongrie, non sans péripéties ! Au départ, nous étions plutôt bien sur tous les échiquiers, sauf le mien car je m’étais un peu planté dans mon ouverture contre Leko.
Dans cette position évidemment issue de la Najdorf, je n’ai pas voulu être un peu moins bien après 17…Dc7 18.Dc3!, et j’ai opté pour 17…Cf6, mais après 18.h4!, j’ai compris que mon coup prévu 18…Cbxd5? n’était pas possible à cause de 19.Fg5 Cf4 20.h5! C4xh5 21.Txh5 gxh5 22.Fh6 et l’attaque blanche est trop forte.
Leko commençait à prendre un temps fou sur ses coups, notamment 48 minutes pour répondre 18.h4 à 17…Cf6 dans la position du diagramme, ce qui est totalement incompréhensible pour moi ! Puis, après 18…Dc7, 18 minutes supplémentaires pour 19.h5 ; incroyable !
Du coup, il n’a peut-être pas eu assez de temps pour trouver le gain qui nous a échappé à tous les deux, mais qui n’est vraiment pas trivial ! Après 19…Cxh5, au lieu de 20.Fh6, il avait 20.Txh5! gxh5 21.Fh6 f5 22.Fxg7 Dxg7 23.De3! (le coup-clé) 23…Dc7 24.Tg1+ Rh7 25.Tg5! (deuxième coup-clé !) 25…Tf7 (25…Tf6 26.Txh5+ Rg8 27.Dg1+ ou 26…Rg7 27.Dg1+ Tg6 28.Dh2) 26.Txh5+ Rg8 27.Dg1+! (27.Dg5+? Tg7 28.Dh4 Tg1+!) 27…Tg7 28.Dh2 avec une attaque décisive.
Heureusement, cette variante difficile est passée inaperçue, et la partie a continué par 20.Fh6 Cf4 21.Fxf4 exf4 22.Dxf4 Tfc8 23.De4, et ouf, l’orage est passé !
Pendant ce temps, malgré la complexité de sa partie, j’avais confiance en la position de Christian ; vu de mon échiquier en tout cas, son sacrifice de pièce en h6 avait l’air très intéressant.
C’est également à ce moment que j’ai vu Laurent se prendre un sacrifice de Cavalier en e5 contre Almasi, qui s’avérera incorrect par la suite mais qui, sur le coup, était effrayant ! J’ai alors décidé de temporiser, car j’avais déjà en tête l’idée se sacrifier en a4, mais je n’étais pas vraiment sûr de mon coup ! Cependant, un ou deux coups plus tard, je trouvais la position de Laurent toujours plus périlleuse, et j’ai donc décidé de sacrifier à mon tour !
Après 23…Cxa4!? 24.Fxa4 b5 25.Fxb5 a4 26.Cd4 a3, j’avais vu que j’étais clairement mieux sur 27.bxa3 Txa3, comme sur 27.Cc6 a2 28.Rd2 Te8!. Mais j’ai sous-estimé 27.Fc6!, après quoi ma situation n’est pas si enviable que ça, même si je conserve des compensations, avec toutes mes pièces actives, mon Roi en sécurité, et mon pion en b2, alors même que Peter n’a plus que cinq minutes à la pendule. Pour illustrer ce propos, passons au 35e coup, où nous sommes arrivés dans la position suivante :
Si, au lieu de 35.Cc6? Te8+ 36.Rf2 Df4!, qui m’a permis de switcher à l’aile-Roi et de revenir complètement dans la partie, Peter avait trouvé le contre-intuitif, mais très fort 35.Th4!, rien ne dit que le seul coup 35…f5 m’aurait traversé l’esprit. En effet, la tentative de profiter de l’auto-clouage blanc par 35…Tc4? était réfutée par le joli 36.Txb2 Fxd4 (36…Txd4 37.Tb8+) 37.Td2! et l’arroseur est arrosé puisque ce sont les noirs qui perdent leur Fd4 cloué !
Vint alors l’apothéose de la partie, juste après le 40e coup :
Après le contrôle de temps, je pensais faire nulle par perpétuel, 41.Rf1 Dh1+ 42.Rf2 Dh2+ etc…, d’autant que la situation dans le match s’était nettement améliorée, puisque Laurent avait fait nulle, qu’Etienne avait le demi-point en poche, et que Christian était gagnant.
Mais au lieu de répéter immédiatement par 41.Rf1, auquel cas j’aurais très bien pu prendre rapidement la nulle, Peter a fait l’erreur de se lever, d’aller aux toilettes et d’attendre quinze minutes pour finalement jouer ce coup forcé. Une mauvaise décision pratique, qui m’a fait comprendre qu’il avait vu un problème quelque part ! Du coup, il m’a laissé le temps de réfléchir calmement à la situation, et de penser à 41…Ff6 comme étant une véritable alternative à la nulle ! Et au fur et à mesure de mes calculs, j’ai compris que c’était en fait gagnant, notamment dans la variante principale de la partie, 42.Td1 Fh4 43.Dd4 Fg3!.
Cette victoire (Hongrie-France 1-3) nous a fait beaucoup de bien, mais de mon côté, j’ai attrapé un coup de froid ce jour-là. Dès lors, j’ai beaucoup manqué d’énergie dans les quatre dernières rondes, et je pense que ça s’est vu dès ma partie suivante contre Eljanov (France-Ukraine 2.5-1.5). Il m’a donné un pion dans l’ouverture, et j’ai cru que ça allait bien tourner pour moi, mais il avait plus de compensations que je ne l’imaginais. Et vu la tournure des événements sur les autres échiquiers, j’ai proposé nulle dès que j’en ai eu l’occasion (Ndlr ; à Batumi, les nulles par accord mutuel étaient interdites avant le 30e coup).
Lors de la 9e ronde, nous avons réalisé notre plus mauvais match (Allemagne-France 2-2). De mon côté, je me suis brûlé les ailes contre Nisipeanu, en prenant des décisions douteuses dans l’ouverture.
Confronté à son idée nouvelle 12.Cxc6 bxc6 13.Df3 menant à la position du diagramme, je n’avais vraiment pas envie de roquer à l’aile-Roi. J’ai eu peur de 13…0-0 14.0-0-0 suivi de 15.g4. Mais c’est probablement ce que j’aurais dû faire quand même, car ma position est tout de suite devenue inférieure après 13…Dc7?! 14.Dg3 Fb7 15.0-0-0. Evidemment, j’aurais pu éviter le « clou du spectacle » 15…g5?, beaucoup trop risqué, après quoi, même s’il n’a pas été parfait dans la conversion de l’avantage, je n’ai jamais vraiment eu ma chance.
A un moment donné de ce match, il ne me paraissait pas exclu que nous perdions 0-4 ! Heureusement, Etienne a tenu la nulle avec un pion de moins, et Laurent a bien géré une position ultra délicate dans laquelle je ne donnais pas cher de sa peau après une belle percée centrale. Quant à Christian, il nous a finalement sauvé la mise, mais ce n’est pas grâce à son ouverture ! Le match nul 2-2 a été un vrai soulagement au vu du déroulement des parties. Du coup, nous avons été récompensés avec un appariement » clément » pour la ronde 10, avec la Croatie.
Contre Saric, j’ai voulu punir son coup 9…b6, affaiblissant la case c6, en jouant 10.d4, alors que j’aurais joué 10.d3 contre n’importe quel autre coup. Une décision pas très heureuse, qui aurait à la limite pu se justifier si après 10…cxd4 11.Cxd4 Fb7, j’avais préféré 12.Fc6 à 12.Cc6, même si ça ne donnait rien de spécial non plus. Dans la partie, après 12.Cc6 Fxc6 13.Fxc6 Tb8, si je joue 14.Fa4, alors 14…Cc5 15.Fc2 b5, et je suis sans doute déjà un peu moins bien. 14.Fxd7 Cxd7 suivi de 15…b5 ne donnait rien non plus, et j’ai donc opté pour 14.De2, après quoi les noirs ont confortablement égalisé par la séquence 14…Ce5 15.Fa4 Cxc4 16.Dxc4 b5, qui n’était d’ailleurs même pas la seule façon de procéder.
Heureusement, le match a été plutôt bien maîtrisé par ailleurs (France-Croatie 2.5-1.5). Romain a fait sa rentrée et a tenu la nulle sans trop de souci, Etienne pareil mais avec plus de difficulté, tandis que Laurent signait une victoire décisive convaincante.
Nous étions tous très motivés pour le match de la dernière ronde contre les Russes, disputé au deuxième échiquier. Tout le monde sait que le format de ces Olympiades donne une importance considérable à la dernière ronde, et en ce qui nous concernait, tout était encore possible…
Malheureusement, la partie d’Etienne contre Nepo s’est mal passée dès l’ouverture, car il a été confronté à une très forte idée nouvelle dans l’Anglaise, contre laquelle il était vraiment compliqué de réagir. La mienne ne s’est pas non plus déroulée comme je l’espérais. Nous avions une nouveauté contre le Mur de Berlin de Karjakin (13.Ce2), mais il a vraiment bien répondu et a annihilé toutes mes tentatives ; jusqu’à sacrifier un pion pour développer un contre-jeu m’obligeant à forcer la nulle. Laurent, de son côté, avait réussi à obtenir une position très agréable contre Kramnik, mais celui-ci est parvenu à égaliser, avant de prendre des risques insensés, comme il le fait désormais avec une grande régularité ! Nulle tout de même après le contrôle de temps, ce qui officialisait notre défaite, puisque Christian, avec les noirs contre Vitiugov, avait également partagé le point, dans une position que je trouvais pourtant préférable. (France-Russie 1.5-2.5).
Notre bilan global est plutôt positif dans l’ensemble, car en dépit de la déception finale, nous avons toujours joué pour quelque chose. La preuve, si Nepo avait gaffé contre Bacrot et que nous avions battu les Russes, nous aurions tout simplement remporté les Olympiades ! Personnellement, je suis un peu déçu de ne pas avoir été à 100% en fin de tournoi, mais je suis sûr que nous aurons d’autres occasions à l’avenir…
Un petit mot sur notre équipe féminine, qui a connu un début de tournoi plus que compliqué. Mais elles ont su se remobiliser et rester solidaires, grâce notamment à l’excellente ambiance qui régnait entre elles.
Et pour finir, félicitations aux Chinois pour leur double victoire, d’autant qu’ils raflent également les deux médailles d’or du premier échiquier.
Impressionnant !
[otw_shortcode_quote border= »bordered » border_style= »bordered » background_pattern= »otw-pattern-1″]Oh ! CapablancaLes Olympiades, c’est évidemment le plus grand rendez-vous échiquéen du monde, avec la quasi-intégralité des pays représentés. C’est une organisation titanesque, avec ses moments incontournables. Tout d’abord, la cérémonie d’ouverture, grandiose de l’avis général. Puis la traditionnelle Bermuda Party avant la journée de repos, organisée cette année dans une boîte de nuit en bord de mer. Mais chut, ce qui se passe à la Bermuda… reste à la Bermuda !
Pour clôturer les Olympiades, la chanteuse et amatrice d’échecs chilienne Juga di Prima est venue à Batumi chanter son « Oh ! Capablanca », qui avait obtenu un beau succès ces derniers mois sur YouTube.[/otw_shortcode_quote]
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