Le match de championnat du monde est toujours l’événement le plus important du circuit échiquéen. Cette année, le match Carlsen-Caruana était d’autant plus attendu que, pour la première fois depuis longtemps, c’étaient les #1 et #2 mondiaux qui s’affrontaient…
Le match
Je trouve que les parties ont été de bonne qualité technique, suivant la tendance moderne d’une plus grande précision en défense qu’avec l’initiative. Carlsen et Caruana ont tous deux été plus performants pour trouver des belles ressources dans des positions défensives que pour concrétiser les positions favorables. La première partie était un exemple extrême, dans laquelle Caruana n’a pas trop résisté avant le 40e coup, tandis que Carlsen ratait des gains plutôt faciles.
Dans les ouvertures, je m’attendais à voir plus d’idées dangereuses. Avec les blancs, j’ai trouvé Carlsen particulièrement inoffensif, tout juste peut-on ressortir l’Anglaise de la 9e partie.
Contre la Petroff, il n’a strictement rien montré ; à un point tel que c’en est presque bizarre. Après, je n’étais pas à l’intérieur de la Team Carlsen, et je ne sais pas ce qui a pu se passer. Peut-être que son idée dans la Petroff avec 4.Cd3, c’était d’accepter de jouer la position suivante (partie 7) :
Et dans l’autre Petroff avec 5.Cc3 (partie 11), c’est aussi curieux de la part de Carlsen, qui semblait mal connaître une position qui avait justement fuité sur une vidéo de la Team Caruana ! Mais il y a parfois des explications cachées. Peut-être a-t-il craint quelque chose et a-t-il voulu dévier de sa prépa au dernier moment ?
Vingt minutes pour jouer 11.The1 suivi de 12.Rb1, qu’il connaissait forcément déjà, ça montre une hésitation, un manque de confiance dans sa prépa, et ceci peut expliquer cela.
Et au passage, précisons que contre le Gambit-Dame, Carlsen n’a pas obtenu grand-chose non plus…
De son côté, Caruana n’a pu montrer quelques idées blanches que vers la fin du match.
C’est donc une impression générale assez bizarre, surtout si l’on compare avec les matches Anand-Carlsen de 2013 et 2014, dans lesquels Vishy s’était montré nettement plus dangereux. A leur décharge à tous les deux, la qualité de la préparation avec les noirs a sans doute joué un rôle déterminant, voire inhibiteur pour celui qui avait les blancs !
De mon point de vue, l’idée générale selon laquelle la préparation de Caruana se serait avérée supérieure me paraît exagérée. Car n’oublions pas que Carlsen n’a guère été mis en difficulté avec les noirs, à part dans la 8e partie :
Carlsen a aussi été un peu moins bien dans la 3e partie, mais sans plus…
De plus, la préparation dans les ouvertures peut aussi avoir des effets pervers, comme l’a montré le tie-break. Sans doute Caruana a-t-il pris un avantage objectif contre la Sviechnikov dans la 14e partie, mais on peut se demander si c’est le plus important.
Car un avantage théorique donné par une machine dans une position complexe qui ne nous convient peut-être pas parfaitement, est-ce réellement un plus tangible en pratique ?
Tie-breaks
Comme tout le monde, j’ai été très surpris de la proposition de nulle de Carlsen dans une position supérieure, lors de la 12e et dernière partie. Mais ce qui était encore plus surprenant pour moi, c’est qu’il a évité, dans les coups précédents, toutes les suites sans doute gagnantes, mais qui mettaient le feu à l’échiquier, notamment la poussée …b5. Mais a posteriori, on comprend que c’était sa stratégie; aller au tie-break, là où il se sentait le plus fort.
Je croyais que Carlsen jouait la provoc quand il assurait que la nulle dans cette partie lui irait parfaitement; que c’était une façon d’inviter Caruana à brûler ses vaisseaux, puis de le punir. Mais c’était en réalité plus basique, et Carlsen était parfaitement sincère !
Dans les parties du tie-break, Carlsen a réussi à surprendre Caruana. Je pense qu’il avait voulu garder en réserve pour les départages, cette idée avec c4 puis e4 dans l’Anglaise, qu’il a utilisée dès le premier départage.
Carlsen a obtenu une position gagnante, mais n’a pas trouvé le seul chemin, avec le coup prophylactique 25.Rh1!! (après 24.Txd4 Rf7 dans la position du diagramme, au lieu de 24.Fxe6+?).
J’aurais été très fier de trouver un coup comme 25.Rh1!! en partie classique !
Ensuite, comme tout le monde l’a vu, Caruana a perdu une finale de Tours nulle parce qu’il a oublié un coup intermédiaire assez vicieux, pas facile du tout à anticiper en cadence rapide.
Ca m’a fait tout de suite penser au tie-break du London Classic de 2015 contre Magnus, ou j’étais également un peu moins bien dans une finale de Tours, mais où j’avais tenu, tenu, jusqu’à commettre l’irréparable dans la position suivante :
Ici, 51…h2 52.Te2 (52.Th3 Re7) 52…Ta1! 53.Txh2 Ta8 annulait car la Th2 est mal placée. Mais j’avais choisi 51…Tf1? 52.Txh3 Re7, et c’est un gain théorique pour les blancs après 53.Rg6!.
Dans le deuxième tie-break, comme je l’ai déjà dit, Caruana a sans doute pris l’avantage, mais dans un type de position où il n’est peut-être pas à l’aise, et ça s’est retourné à la vitesse de l’éclair.
Dans le troisième tie-break, il a fait all-in, mais ça n’est pas passé, même s’il a réussi à obtenir une position jouable avec les noirs.
Au final, Carlsen a réalisé une véritable démonstration de force dans les parties rapides (3-0). C’était vraiment du très, très costaud… Impressionnant !
Format
12 parties, on voit que c’est trop court, c’est clair. Je pense qu’il faut revenir à 16.
Mais je vois un autre problème dans le trop grand nombre de jours de repos, un après chaque paire de parties. Ce n’est juste pas dans l’esprit du match. On l’a vu avec la fin qui traînait en longueur, repos avant la 11, puis avant la 12 parce que c’était la dernière, puis avant les tie-breaks !
Les gars, on a quand même 6 mois pour se préparer ! Et dans un contexte où trouver des idées dans l’ouverture devient de plus en plus compliqué, avec ce rythme, ça annihile nos efforts. En effet, quand on en trouve une, l’adversaire va avoir la journée suivante avec couleurs inversées, puis la journée de repos, soit quasiment trois jours, pour pouvoir préparer une riposte. Dans les tournois normaux, il y a en général une journée de repos toutes les 4 parties, et ça devrait être la même chose pour le match de championnat du monde. Et accessoirement, je pense que ça arrangerait aussi les spectateurs, ainsi que les journalistes sur place, d’avoir un peu plus de parties en un peu moins de temps !
Si l’évolution va dans ce sens, il serait également logique d’accélérer les cadences, et d’éviter les parties qui peuvent durer 7 heures. C’est trop long pour le public, mais c’est aussi trop long pour pouvoir faire des différences. C’est déjà pas évident parfois en parties rapides, alors en classique ! Je préconise d’adopter la cadence 90+30 (+30 »).
Karjakin a récemment repris à son compte l’idée d’organiser les tie-breaks avant le match. C’est intéressant, mais j’ai un peu peur des effets pervers d’une telle réforme, car le joueur qui les remporte pourrait avoir tendance à bétonner…
De son côté, Carlsen vient d’évoquer l’idée, certes vague, d’introduire « un peu de parties rapides » dans le championnat du monde. Je comprends bien cette évolution, et peut-être que des cadences plus rapides seront la norme prochainement. Mais pour l’instant, il me semble que nous avons des compétitions séparées (blitz, rapide, classique), et je suis partisan de faire un minimum de mélanges !
[otw_shortcode_quote border= »bordered » border_style= »bordered » background_pattern= »otw-pattern-1″]London CallingLondres a été le centre du monde des échecs pendant le mois de novembre et la durée du match Carlsen-Caruana. Et la capitale anglaise conservera son statut en décembre également, puisqu’elle accueillera la phase finale du Grand Chess Tour 2018. Les demi-finales auront lieu du 11 au 13 décembre au siège de Google ; elles opposeront Caruana-Nakamura et Aronian-Mvl, en 2 parties Classiques, 2 Rapides et 4 Blitz. La finale et le match pour la 3e place se dérouleront quant à eux du 15 au 17 décembre à l’Olympia London, suivant le même format.[/otw_shortcode_quote]