Décembre en noir et blanc

Je suis arrivé à Londres le 1er décembre, dans un environnement familier et dans une ville que j’aime bien, pour disputer une finale du Grand Chess Tour au format identique à l’année précédente.

J’ai appris ma qualification en dernière minute, puisqu’elle dépendait des résultats des autres joueurs, et notamment de Anand. Ce n’était pas le plus probable, mais je me suis qualifié à sa place. Ce qui a évidemment surchargé mon calendrier de décembre, à un moment où la qualif pour les Candidats allait se jouer. Mais j’étais plutôt content quand même d’être qualifié. Le challenge était intéressant évidemment ; d’abord jouer contre Magnus bien sûr, et puis le deuxième match également, contre Aronian ou Ding Liren. Donc j’étais motivé, dans format qui me convient bien en général. Le match contre Magnus a été très, très tendu. Dans la première partie par exemple, c’était vraiment d’une complexité extrême et tout aurait pu arriver. Finalement, ça s’est conclu par un perpétuel après que l’on ait raté pas mal de trucs. Après plusieurs nulles, c’est moi qui ai gagné le premier en blitz, à partir de rien du tout d’ailleurs. Cependant, il a répliqué tout de suite, là où au contraire j’avais une très bonne position, mais pris de mauvaises décisions. De manière générale, le niveau de notre match était quand même assez élevé. Peut-être que le moment-clé c’est quand j’ai défendu le dernier blitz avec peu de temps et une finale quand même désagréable.

Carlsen-Mvl, Londres 8e partie ; le pion en c6 rend la défense noire délicate.
Carlsen-Mvl, Londres 8e partie ; le pion en c6 rend la défense noire délicate.

Après évidemment, il y a eu la première partie du tie-break avec les Noirs, qui était complètement folle ; l’avantage a changé de camp tout le temps, c’était vraiment hyper tactique, mais j’ai fini par l’emporter. Après, il ne restait plus qu’à faire nulle dans la deuxième partie ; ce que j’ai fait 🙂 .
Evidemment, j’étais très content de remporter un match en 10 parties contre le champion du monde, surtout avec un mix de cadences. Psychologiquement, c’était un boost, car qui d’autre peut se prévaloir d’un tel résultat ? Malheureusement, il fallait enchaîner avec la finale, et Ding Liren m’a fait redescendre de mon nuage illico en me mettant sous énorme pression dans la première partie longue. Après, il n’a pas été suffisamment précis dans une finale qui était complètement foutue pour moi. Bon, je me suis accroché comme je l’ai pu, et il a paniqué à plusieurs moments. J’ai finalement tenu la nulle dans une position de dingue à quatre Dames !

Mvl-Ding Liren, Londres 1e partie ; et non, M. Ding, les noirs n’ont pas de mat dans cette position !
Mvl-Ding Liren, Londres 1e partie ; et non, M. Ding, les noirs n’ont pas de mat dans cette position !

Rebelote dans la deuxième partie, où je me suis retrouvé en difficulté dès le début dans une Anglaise. J’ai mal jugé la position et avec l’avantage, il a été clinique. C’est dans l’ensemble une partie où il n’y a pas eu grand-chose à faire. Je n’ai pas été suffisamment alerte, et lui a été impeccable…. Bon ensuite dans les rapides, j’ai essayé de revenir mais ça a vite mal tourné ! J’ai quand même sauvé l’honneur en remportant largement le match de blitz.

Le bilan du Grand Chess Tour n’est quand même pas si mauvais, je termine second pour la troisième année consécutive.

Ensuite, la bascule vers le Grand Prix FIDE a été compliquée, car je n’ai pas pu arriver à Jérusalem avant le mardi en fin d’après-midi – au terme d’un long voyage – et le tournoi commençait dès le lendemain. La bonne nouvelle quand même, c’est que le tirage était plutôt bon. Malheureusement, j’ai pu voir tout de suite que je n’étais pas à un très bon niveau de jeu. Dès la première partie contre Topalov, j’ai été en grand danger ; j’ai réussi à m’accrocher et je m’en suis sorti un peu par miracle, mais j’ai frisé la correctionnelle. Du coup j’ai décidé de ne pas prendre de risques inconsidérés dans les parties longues. D’autant que j’ai vite compris que les points bonus ne serviraient strictement à rien, ce qui a effectivement été le cas. L’important, c’était la qualif tour après tour…

Donc je me suis concentré sur les rapides. D’abord contre Topalov, et ensuite contre Andreikin, après que mon ouverture dans la première partie ait tourné court (nulle), suite à une erreur de mémoire !
En revanche, dans les rapides, ça s’est bien passé ; contre Andreikin, la première partie était ultra chaude. Mais au final, j’ai vu plus de choses que lui, c’est donc normal que j’aie gagné 🙂 .

Ensuite, il y a eu le match décisif contre Nepo, et là, je dois admettre que je n’ai pas pris les bonnes décisions, c’est sûr. D’abord, j’ai été surpris par le rare 8.Fe3.

Nepomniatchi-Mvl, Jérusalem, ½ finale aller.
Nepomniatchi-Mvl, Jérusalem, ½ finale aller.

Du coup, j’ai perdu beaucoup de temps à regarder 8…Cg4 9.Fg5!?, qui pouvait être son idée. Sur 9.e5, qu’il a joué, j’avais plusieurs possibilités, pas seulement celle de prendre en e3. Mais je me suis dit :  » On va aller au plus simple  » ; malheureusement, le plus simple en question n’était pas le meilleur… Il a donc pris un bon avantage, mais il m’a laissé ensuite du contre-jeu. Le moment critique, c’est évidemment après 19.Da3

Nepomniatchi-Mvl, Jérusalem, ½ finale aller.

Bien sûr, j’ai vu le naturel 19…c5 20.dxc5 Dc8, que je me souviens avoir rejeté à cause de 21.exf6 Fxf6 22.Fc4! Fxh4+ 23.Txh4 Cxh4 24.Td6!. Je n’ai pas du tout analysé la partie depuis, mais sur l’échiquier, ça avait l’air très dangereux pour moi en tout cas. Ce qui s’est passé dans la partie après mon choix 19…fxe5 20.dxe5 De8 (avec l’idée de contre-jeu …Dc6-b6), c’est que je n’ai réalisé qu’après 21.Fg2 que la suite prévue 21…Fxe5 22.fxe5 Cxh4+ 23.Rg1 Cxg2 était réfutée par l’horrible coup intermédiaire 24.Ce4!, et les blancs sont gagnants.

Le duel contre Ian Nepomniachtchi
Le duel contre Ian Nepomniachtchi – Photo : www.worldchess.com

Le dos au mur, j’ai réussi à placer une bonne idée dans la deuxième partie. Et j’ai obtenu une très bonne position ; malheureusement gâchée par des mauvaises décisions… D’abord, 15.Cf4 était moins précis que 15.Fd2!.

Mvl-Nepomniatchi, Jérusalem, ½ finale retour.
Mvl-Nepomniatchi, Jérusalem, ½ finale retour.

Mais surtout, 19.b4? s’est avéré être vraiment catastrophique, au lieu du normal 19.Cfe2 qui maintenait l’avantage. En fait j’ai complètement oublié en jouant 19.b4 – trop vite ! – que la Dame noire revenait en c4 via a6.

Mvl-Nepomniatchi, Jérusalem, ½ finale retour.
Mvl-Nepomniatchi, Jérusalem, ½ finale retour.

Et enfin, il y a la dernière grosse erreur 25.Cg3?, à la place de 25.Cd3. En fait, sur 25…f5, je voulais 26.e5 f4 27.Fxf4 gxf4 28.Ch5, mais je me suis vite rendu compte que les noirs gagnaient après 28…Fxe5! 29.dxe5 0-0-0!. Du coup, je suis moins bien après 26.exf5, et j’ai rapidement proposé nulle. De toute façon il n’y avait vraiment rien à faire, si ce n’est la perdre ! Et j’ai suffisamment perdu de parties bêtement en situation de must win, à commencer par Jakovenko il y a deux ans dans des circonstances identiques…

Eliminé, j’ai pris un avion tôt le lendemain matin, et je me suis retrouvé à devoir patienter à la maison dans l’attente du match Nepo-Wei Yi. Je n’avais plus mon destin entre les mains, mais une victoire du Chinois m’envoyait quand même directement aux Candidats ! Malheureusement, la pièce est une nouvelle fois tombée du mauvais côté, mais j’ai quand même pris la décision de ne pas renoncer aux championnats du Monde Rapide & Blitz à Moscou. Je savais que j’étais complètement cuit physiquement, mais en termes d’effort c’était moins compliqué quand même, et toujours assez fun. Je sais aussi que j’ai une bonne capacité à rebondir, alors j’y suis allé un peu la fleur au fusil 🙂 . On ne va pas se mentir, j’ai fait un peu n’importe quoi… J’ai eu trois journées catastrophiques, les première et troisième rapide, et le premier blitz. Soit seulement deux journées correctes. Au final, terminer 14e au Rapide et 4-5e au Blitz dans ces conditions, il n’y a pas de quoi se pavaner, mais vu mon état de forme, je prends ! Et vu le niveau des parties, je suis encore plus obligé de prendre 🙂 .

Maxime Vachier-Lagrave lors du championnat du monde de blitz. Photo : Dmitry Ikunin | http://ikunin.ru
MVL répond à un media norvégien. Photo : Dmitry Ikunin | http://ikunin.ru

Maintenant, regardons vers 2020, qui va être une saison beaucoup plus light. Ce sera l’occasion pour moi de réaliser une meilleure préparation foncière, sur le plan technique comme sur le plan physique. Au niveau des événements, je jouerai à Gibraltar à la fin du mois, au Norway Chess début juin, et je participerai au Grand Chess Tour 2020 pour lequel je suis qualifié. Ce sont les seules certitudes pour l’instant !

Si vous voulez en savoir plus sur tout ce qui concerne le cycle de championnat du monde, la qualif aux Candidats, la lettre ouverte de Laurent Vérat sur la wild-card, la polémique qui a suivi, mais aussi les rapports entre joueurs français de l’élite, la possible naturalisation française de Firouzja, et bien d’autres sujets encore, allez lire sans tarder la longue interview donnée par Maxime il y a quelques jours au site www.chess.com.

Les parties de Maxime à Londres :

Les parties de Maxime à Jérusalem :

Les parties de Maxime au championnat du monde de parties rapides :

Les parties de Maxime au championnat du monde de blitz :

Top