Pas le mien, certes, mais celui de mon air – l’air de mon appartement parisien. En effet, le sponsor du deuxième tournoi du Champions Chess Tour était la société Airthings, spécialisée en analyse de l’air ambiant. Du coup, tous les participants avaient reçu un petit boîtier permettant aux commentateurs de donner un aperçu régulier de la qualité de l’air respiré par les joueurs 🙂 . Avec environ 800 ppm en CO2, je crois que j’étais dans la bonne moyenne !
Le tournoi Airthings était le premier des 3 Majeurs du circuit, garantissant une dotation doublée en prix et en points du Tour. Cela dit, en termes de préparation, pas facile de commencer un tournoi juste après avoir fêté Noël 🙂 .
De manière générale, je n’ai pas très bien joué dans les Préliminaires, surtout que j’ai raté les quelques opportunités que j’ai eues.
PHASE PRELIMINAIRE
Je dois ma qualif à un miracle de dernière minute, conjuguant une improbable (et unique) victoire de dernière ronde avec les noirs contre Grischuk avec d’autres résultats – tous en ma faveur ! Qualifier 8 joueurs sur 12 participants, ça paraît beaucoup, mais au final, comme j’ai eu un accident ronde 4 contre Nepo, je me suis retrouvé un peu en difficulté. J’ai réussi à obtenir d’autres occasions contre Dubov et Aronian, mais je n’ai finalement marqué qu’un point sur ces trois parties ! Donc après huit rondes j’étais toujours à -1 sans victoire. Il était clair que ça n’allait sûrement pas suffire, d’autant que ma dernière journée s’annonçait difficile. J’ai d’abord perdu contre Giri une partie dans laquelle on était tous les deux all-in, avant d’opérer un sauvetage inespéré contre Radjabov et de finir sur ce gain contre Grischuk.
Le tournant pour moi aura donc été cette 4e ronde, ou non seulement j’ai raté un gain direct, mais en plus j’ai même fini par perdre cette partie !
Malgré son spectaculaire coup de Tour en h2, Nepo a son Roi dans un réseau de mat, et le simple 37.Txg6! aurait mis un terme à la partie : si 37…Txf2 38.Tf6+ Rg4 39.Cxf2+, et si 37…Tf8 38.Txh2 Fxe4+ 39.Rc3 Fxg6 40.Tf2+ (le coup que j’ai oublié) récupère la Tour, avec dans les deux cas une qualité nette de plus.
A la place, j’ai joué 37.Txh2? Fxe4+ 38.Rd2, mais la finale n’est pas facile du tout, même si évidemment, la perte n’était pas nécessaire à la fin 🙂 . En fait, j’ai trop forcé pour gagner, et j’ai enchaîné quelques décisions risquées, parce que j’ai cru que j’aurais toujours une variante de nulle de sauvetage dans le pire des cas. Ca ne s’est pas passé comme ça et la morale est qu’il ne faut pas s’entêter à chercher ce qui n’existe pas ! (0-1, 69 cps).
1/4 FINALE : MVL – SO 2-1
Après cette qualif à l’arraché, mon match contre So a débuté quasiment de la meilleure des manières dans le premier set. Parce que si avec les Blancs, je n’ai pas été impérial sur la Berlinoise (malgré des positions prometteuses), j’ai en revanche causé quelques dégâts avec la Najdorf 🙂 .
Après une lutte d’une rare complexité et – je crois – d’une très grande qualité, nous avons atteint la position du diagramme. Impossible de résumer les 40 premiers coups autrement que par un bazar intégral sur l’échiquier après une vraie prise de risques de Wesley. Ici, c’est le coup spectaculaire 41…Tf3!, menaçant mat en un tout en coupant le rayon d’action du Fg2, qui m’a permis de faire basculer la partie pour de bon. Après 42.Dd8+ Rc6 43.Fg3 De6!, je contrôle un maximum de cases et en pratique, la position devient cauchemardesque à jouer pour les blancs. Il a immédiatement craqué par 44.Tb1? qui permet la liquidation 44…Txg2+! 45.Rxg2 Txg3+ 46.Rxg3 Dg6+ 0-1. La machine prétend que 44.Rh1! tenait encore la boutique, mais je crois que ça aurait été très, très dur pour lui de toute façon.
J’ai également gagné la deuxième Najdorf dans la dernière partie du set, après une grosse erreur de sa part dans l’ouverture.
Au deuxième set, ça a été plus compliqué, notamment avec cette défaite dans la première partie, une Grünfeld où j’ai fait n’importe quoi dans l’ouverture. Ensuite, j’ai réalisé une bonne prestation défensive, et j’ai même failli annuler. Il a très très bien défendu la Berlinoise de la deuxième partie, et n’a pas tenté sa chance dans la troisième avec les blancs. En gagnant la quatrième, j’aurais égalisé le set et remporté le match sans départages ; j’ai senti que j’avais un très gros avantage, mais je ne suis pas parvenu à concrétiser. Ensuite, je me suis même retrouvé moins bien parce que j’ai trop forcé, puis complètement perdant. Mais c’est au moment où ça devenait plus facile pour lui qu’il m’a laissé revenir dans la partie, en perdant ses pions les uns après les autres, jusqu’à devoir transposer dans une finale inférieure. Mais bravo pour sa ténacité dans cette finale de Fous de couleurs opposées qui semblait très délicate à tenir (1/2, 92 cps).
Du coup, dans les départages, j’ai pu frapper sur la Berlinoise, avant de perdre le blitz retour en ratant un coup évident dans l’ouverture.
Ici, 12…e4! réfutait l’ouverture blanche en forçant l’horrible 13.Cg1 (13.Dxe4? Ff5!). Après ce raté et 12…Te8? 13.Fxc5 e4 14.Cd4, je n’ai jamais eu assez de compensation pour le pion (1-0, 34 cps).
Tout allait donc se décider sur l’Armaggedon. Beaucoup ont été surpris du choix de So de prendre les blancs, alors qu’on connaît sa solidité et sa capacité à faire nulle. Mais je sentais qu’il opterait pour la minute de plus et le trait, car il avait été en difficulté avec les noirs dans notre match, et défendre une Berlinoise avec 4 minutes contre 5, bon courage ! Je comprends bien que d’une manière générale, l’échantillon est plutôt en faveur des Noirs jusqu’à présent, mais ce n’est qu’un petit échantillon et il faut tenir compte des spécificités de chaque confrontation. En tout cas, je pense que son choix se justifiait pleinement, et si ça avait été à moi de le faire, dans une situation finalement un peu symétrique, j’aurais opté également pour les blancs. Du coup, j’avais donc une décision forte à prendre moi aussi, car j’avais également été en difficulté avec les noirs dans les Anti-Grünfeld. J’ai donc finalement pris le pari du changement – certes risqué – vers un Hérisson, théoriquement plus solide. J’ai souffert, ça n’a pas été parfait, mais j’ai tenu la nulle et gagné le droit d’affronter l’ami Levon en demi-finale.
1/2 FINALE : MVL – ARONIAN 0-2
J’ai tout de suite été dans le dur suite à une première défaite avec les blancs, après avoir clairement surévalué ma position ; à noter la très efficace conversion de Levon.
Ensuite, il y a eu deux nulles, la deuxième étant une vraie performance défensive de sa part, avec en plus peu de temps à la pendule. La dernière partie du premier set était donc pour moi un must win avec les noirs, qui ne peut pas marcher à tous les coups 🙂 .
Je n’ai pas eu tant de problèmes lors du deuxième set. Mais encore une fois, Levon a très bien défendu, et c’est vrai qu’il a gagné ce match sur sa qualité à tenir les positions inférieures, puisque je n’ai jamais réussi à scorer contre la Berlinoise. Ca aurait pu passer au moins une fois s’il n’avait pas accompli de petits miracles en défense. Notamment dans la deuxième partie, avec tous ses pions faibles et les Fous de couleurs opposées.
Dans la troisième partie, qui s’avérera être la dernière, un choix trop rapide dès l’ouverture m’aura été fatal :
Ici, je savais que c’était 8…Fg7 le coup, mais j’ai rapidement décidé d’échanger en d4 d’abord, pour lui enlever des options comme 9.c4 (qui n’aurait d’ailleurs pas été bon). Mais après 8…cxd4? 9.Dxd4! (la mauvaise nouvelle, au lieu de 9.cxd4 Fg7 qui transpose dans une variante normale), je me suis retrouvé obligé d’échanger les Dames, ce qui n’est vraiment pas l’idée de la position 🙂 ; 9…Dxd4 10.cxd4 Cc6 11.Cf3 et les blancs sont tout simplement mieux. Ensuite, j’ai défendu comme j’ai pu – plutôt ingénieusement d’ailleurs – jusqu’à finalement craquer au moment où la nulle était à portée de mains !
Dans cette position, j’ai raté une liquidation simple parce qu’elle n’avait pas été possible quelques coups auparavant lorsque le Roi était en e7 à cause de Rd4 Rf6 / Fd3 et les noirs sont empêchés de jouer …e5. Mais ici, tout bêtement 67…Fxc5! 68.dxc5 Fxa4 69.Fd3 (69.Rd4 Rf5 =) 69…e5! 70.f5 Fd7 suivi de 71…Fxf5 et on peut signer la nulle. Mon coup de la partie 67…Re7 n’était peut-être pas définitivement perdant, mais c’était trop compliqué à défendre et Levon a remporté le deuxième set et scellé le sort du match (1-0, 113 cps).
MATCH POUR LA 3e PLACE : MVL – DUBOV 1.5-0.5
Je dois avouer que je ne suis pas un fan des petites finales car l’aspect compétitif retombe après une défaite en demi-finale, et c’est là que la fatigue se fait vraiment ressentir d’ailleurs. Je n’ai donc pas pris énormément de plaisir dans ce match car je n’arrivais pas à me motiver.
Après, je comprends quand même l’idée d’instaurer un match pour la troisième place. Ce n’est pas un marathon non plus, comme l’avait été mon match contre Yu en Coupe du Monde 2019, prévu sur une semaine 🙂 .
J’ai quand même réussi à avoir un sursaut de motivation et d’énergie dans le premier set, après avoir été mené sèchement 0-2.
Ici, j’ai d’abord cherché un gain sur le naturel 27.Dd5, mais je n’ai pas trouvé ; 27…Dxd5 28.Txd5 b4 29.Tb5 Fc3 30.Rf1 et on a l’impression que les blancs vont gagner en ramenant le Roi, mais en fait ça ne suffit pas : 30…Ta6! 31.Re2 b3 32.Rd3 (32.Tc5 Ff6! 33.Rd3 b3 et je ne trouvais pas non plus comment gagner avec le pion noir qui arrive en b2) 32…Fe1! et je n’ai pas vu comment progresser ; si 33.Te5 Fb4, et sinon je ne peux jamais jouer Rc4 à cause de …b2!, échangeant les pions a et b. Un échange qui ne serait pas possible avec le Roi en d3 à cause de …b2?/Rc2, mais les noirs se contenteraient alors de ne rien faire, et je n’ai pas de moyen de progresser. Du coup, j’ai revu la position initiale, et j’ai trouvé 27.Dd3!, qui bloque le pion b plus loin. Après 27…Dxd3 (sur un coup comme 27…Dc4, 28.Df3! et le pion a devient monstrueux) 28.Txd3 b4 et j’ai maintenant pu amener le Roi de façon décisive : 29.Rf1 Rf8 30.Re2 Fc3 31.Rd1 Re7 32.Rc2 Re6 33.Rb3 (1-0, 51 cps).
Dans la dernière partie du set, une nulle avec les blancs lui suffisait, mais je crois que ce n’est pas le genre de Dubov de changer son jeu. Lui, il joue sa partie normale – c’est-à-dire tendue – et il se moque du résultat. Du coup, il a opté pour un sacrifice de pion dans la Sicilienne 3.Fb5+. J’ai fait une faute et il a eu immédiatement une position objectivement écrasante, mais encore complexe dans le sens où on a presque trop d’options séduisantes avec les blancs. Il n’a pas choisi le plus radical, et la position a alors basculé dans l’irrationel, un cadeau du ciel quand on est en must win avec les noirs ! J’ai fini par l’emporter et égaliser 2-2 dans le premier set, un petit miracle qui n’était pas mérité du tout.
Au deuxième set, j’ai commencé par gagner la première avec les noirs à partir d’une position à nouveau perdante à cause de la même combinaison « fatigue = jeu trop rapide ».
Mais ma qualité dans les cadences courtes, c’est de savoir compliquer la position au maximum, même dans les situations les plus désespérées ; et là, ça a payé. Il faut bien qu’il y ait un avantage à jouer vite, quand même !
Dans la deuxième partie, j’ai réussi à me retrouver moins bien sur l’Italienne avec les blancs. Mais là, pour le coup, j’ai pris une bonne décision pratique en donnant tout de suite un pion pour m’en sortir sans trop de dommage et annuler.
Dans la troisième, j’ai tenté de jouer plus solide et puis finalement, j’ai fait un truc incroyable dans la position suivante :
J’ai rejeté instinctivement 23…Dxe4 à cause de 24.Dh5, alors que le simple 24…Ce5! 25.Dxh6 Dg6 26.Dxg6+ Cxg6 suffisait, car avec le contrôle de la case e5, je ne risque rien dans cette position simplifiée. Après cette erreur, j’ai encore dégradé ma position et fini par le laisser égaliser le set (1-0, 59 cps).
Heureusement, j’ai repris mes esprits dans l’ultime partie avec les blancs, et j’ai su prendre mon temps aux bons moments. Je ne crois pas que j’aurais été capable de garder ma pleine concentration sur les 4 parties, mais sachant que ça pouvait être la dernière, je suis parvenu à me focaliser. (1-0, 46 cps).
Au final, je termine 3e du tournoi, et consolide une correcte 5e place au classement du Tour. Il faudra que je m’améliore dans la phase Préliminaire, car je suis passé très proche de la trappe dans chacun des deux premiers tournois. Prochaine étape du Tour, désormais appelé Meltwater Champions Tour, du 6 au 14 février.
Pour finir, un petit mot sur cette année 2021 qui débute. On reste évidemment un peu dans le flou de la pandémie, notamment par rapport à la reprise des Candidats. C’est bien sûr l’échéance que j’ai en ligne de mire, même si on attend encore de connaître les modalités, le lieu, les dates etc… Clairement, ce sera l’objectif principal de mon année. Enfin, si je gagnais le tournoi, il y aurait alors un nouvel objectif encore plus important qui se dessinerait pour la fin de l’année 🙂 .
En attendant, il y a un certain nombre d’autres tournois qui vont réapparaître, en plus du circuit en ligne du Meltwater Champions Tour, et je pressens que le calendrier de l’année va être bien chargé !
En tout cas pour commencer 2021, je serai heureux de faire mon retour devant l’échiquier à l’occasion d’une compétition de l’Elite à Wijk aan zee. Je n’y suis pas retourné depuis l’édition 2015, que j’avais terminée à la 2e place – un demi-point derrière Carlsen.
Je suis arrivé ce jeudi 7 dans la petite station balnéaire néerlandaise, où une dizaine de jours de quarantaine m’attend avant le démarrage le 16 janvier 🙂 .
Ce tournoi va me permettre de renouer avec ma mécanique de réflexion devant l’échiquier, qui est évidemment assez différente de celle que l’on déploie lors des compétitions en ligne.
Les parties de Maxime :
Dans le cadre du Téléthon en décembre dernier, Maxime s’est associé à l’opération « Stars Solidaires », une tombola permettant de gagner des lots offerts par les personnalités. Aux côtés de nombreux artistes, mais aussi de très grands noms du sport français – M’Bappé, Parker, Gasly… – Maxime a contribué à la récolte globale de près de 2.2M€ au profit du Téléthon, grâce à 600 billets vendus sur son nom. Il aura le plaisir de recevoir en février le gagnant de son lot, Benoît, pour une masterclass privée.
Article sur l’implication des sportifs français : https://oran.ge/3pXOHcb