Changement de cycle

Etienne Bacrot et moi avons arrêté notre collaboration depuis maintenant quelques mois… Celle-ci avait commencé il y a plus de sept ans, au printemps 2015, lorsqu’il est devenu mon entraîneur principal ; c’est donc un long cycle que nous avons vécu ensemble. Et ce cycle est maintenant parvenu à son terme, dès lors que nous avons partagé le constat qu’il n’y avait pas suffisamment de renouvellement d’idées et plus suffisamment de nouveaux challenges dans notre collaboration. Au final, une certaine routine s’était installée de mon côté, et elle devenait dommageable pour mes résultats sportifs.

C’est l’occasion pour moi de revenir au commencement – et même avant le commencement – puisque la première fois qu’Étienne m’a parlé de travailler ensemble, ou plutôt que lui travaille pour moi, c’était en 2014, pendant le championnat de France à Nîmes où j’étais passé une journée. Il m’a dit à cette occasion que dès le tournoi de Bienne de l’année précédente où on s’était rencontrés, il avait constaté que j’étais devenu extrêmement fort. Même si je n’avais fait que +1, avec 3 victoires et 2 défaites, il estimait que dans la manière, il y avait vraiment tous les ingrédients pour m’amener au plus haut niveau. Et donc il se proposait de m’aider, de me guider…

Je dois avouer que ma réaction spontanée a été mitigée ; en fait, cette proposition s’avérait compliquée à gérer pour moi. Même si j’étais flatté par son offre, lui et moi étions encore au coude-à-coude en termes de classement Elo ; ça me semblait donc un peu prématuré par rapport à cette rivalité.

Mais pour Etienne, je venais juste de tenir le premier échiquier de l’équipe de France aux Olympiades de Tromso, et le passage de témoin était désormais irréversible. Il considérait qu’il était donc naturel de me proposer ses services. Cette discussion a finalement débouché sur un galop d’essai, à savoir un premier stage de préparation que l’on a fait ensemble fin 2014, sans notion d’entraîneur / entraîné.

A ce moment-là, je travaillais encore avec le Slovène Alexander Beliavsky. Objectivement, ça se passait plutôt bien, mais c’est l’époque où j’ai commencé à participer aux tournois les plus importants et à affronter des joueurs du Top vraiment très bien préparés. Certes, Wijk aan zee en janvier 2015 avait été un franc succès, puisque j’y avais battu mon record Elo, avec 2775. Mais ensuite, j’ai connu un trimestre très compliqué, avec je crois une seule victoire en trois ou quatre mois !

C’est à ce moment-là que j’ai senti qu’il fallait changer quelque chose. Je suis donc revenu vers Etienne, et il a « officiellement » commencé à travailler pour moi. Ca a complètement changé ma perspective sur la préparation dans les ouvertures parce que c’était la première fois que j’étais confronté à quelqu’un qui avait une vision bien plus globale du travail requis. Alexander était un très bon entraîneur, mais en termes d’ouvertures, il était devenu vraiment trop limité, notamment pour essayer d’obtenir l’avantage avec les blancs. Et le travail effectué avec Etienne a trouvé une concrétisation rapidement, dès le deuxième semestre 2015, quand j’ai gravi les échelons en même temps que je commençais à vraiment jouer tous les gros tournois, notamment ceux du Grand Chess Tour, d’abord en Norvège, puis à Saint-Louis, et enfin à Londres – avec une prestation d’ailleurs extrêmement aboutie.

Parfois, on doit jouer ensemble ! Comme ici au Grand Chess Tour 2017 à Paris, avec un certain Garry K qui donne le go (photo : Gct).
Parfois, on doit jouer ensemble ! Comme ici au Grand Chess Tour 2017 à Paris, avec un certain Garry K qui donne le go (photo : Gct).

En termes d’organisation du travail, c’est vrai que je n’étais plus aussi créatif, dans le sens où je cherchais moins d’idées. Ma mission, c’était surtout d’être efficace au niveau de la maîtrise de mes ouvertures, et d’arriver avec autant d’énergie que possible devant l’échiquier ! Quant à Etienne, sa principale tâche consistait à générer les fichiers d’ouverture avec l’aide d’ordis de plus en plus puissants. Ce qui supposait évidemment de vérifier attentivement toutes les nouvelles idées, tout ce qui avait pu être joué dans les parties de la semaine précédente, voire de la veille, afin d’être sûr de ne rien laisser passer. De cette façon, je me suis construit un répertoire beaucoup plus solide avec les noirs, et en capacité de résister dans le temps ; tout en évitant de devoir travailler en dernière minute avant chaque partie, ce qui est évidemment indispensable pour rivaliser avec le top du top. Bien que les ouvertures restent centrales dans la préparation, Etienne a aussi constamment veillé à ce que je conserve ma forme échiquéenne au travers d’exercices et d’études bien choisis.

Tout au long de ces sept années de collaboration, l’évolution principale a bien sûr été l’accès à des logiciels de plus en plus puissants et de plus en plus faciles d’utilisation. Il n’y a plus besoin d’énormes machines depuis l’arrivée d’AlphaZero (même si ce logiciel n’était pas disponible pour le public), qui a tracé la voie en matière d’Intelligence Artificielle. Plus près de nous, le Stockfish actuel, Stockfish 15, est tellement plus fort que Stockfish 8 par exemple… Du coup, ça rend une partie de la tâche plus simple, dans le sens où trouver les bons coups ou les bonnes idées, c’est évidemment plus facile ! Mais le problème, c’est que tout le monde a accès à ces idées et pour faire la différence, il faut donc apporter quelque chose de plus. Ce qui nécessite bien plus de travail, des fichiers nettement plus approfondis, avec le risque majeur de s’y perdre ; comme ça a été un peu mon cas ces derniers temps 🙂 .

J’ai eu une période assez compliquée en 2022, au moins au niveau du Elo ! Mais malgré ça, je n’ai pas compromis mes objectifs pour les deux années à venir, avec notamment ma qualification pour le circuit du Grand Chess Tour en 2023. Je serai donc présent l’année prochaine sur toutes les compétitions majeures et sur les épreuves qualificatives pour les Candidats 2024.

Évidemment, je ne reste pas les bras croisés dans cette période de transition, d’autant que j’ai depuis peu un nouvel encadrement échiquéen, dont le profil correspond aux caractéristiques et aux orientations que j’avais fixées avec mon staff. Bien sûr, travailler dans un nouvel environnement requiert une période d’adaptation et de réglage. La bonne nouvelle, c’est que j’ai la chance de disposer de ce temps, une denrée plutôt rare d’habitude ! En effet, mes prochaines grosses échéances devraient débuter autour de mai 2023, ce qui laisse un peu de marge…

Je vais quand même profiter de ces lignes pour faire un bilan de ma période avec Etienne, en récapitulant mon palmarès de ces sept années… J’ai remporté beaucoup – enfin, je ne sais pas si c’est « beaucoup », mais disons un certain nombre 🙂 – de tournois. En classique, deux fois la Sinquefield Cup, Bucarest, Dortmund, Shenzhen, ainsi que deux nouveaux titres à Bienne et deux demi-finales de Coupe du Monde. Des Rapides/Blitz à Paris et Zagreb, et le titre mondial 2021 en blitz. La 2e place du circuit professionnel (Grand Chess Tour) quatre années de suite ! Sans oublier les compétitions par équipes, qui m’ont apporté plusieurs titres avec mon club allemand de Baden-Baden, avec Clichy en 2017, puis une Coupe de France avec Asnières en 2019. L’équipe de France n’a pas glané de titre pendant les différentes épopées de cette période, mais on retiendra tout de même la belle médaille d’argent obtenue au Championnat d’Europe des Nations 2021 en Slovénie.

Au niveau des classements mondiaux, j’ai eu l’occasion d’occuper la 1e place en blitz comme en rapide, et la 2e place en classique. Et enfin, cette fameuse deuxième place aux Candidats 2020/2021, qui restera en même temps un bon résultat et une déception 🙂 . Entre le jour où la Fide m’a annoncé que je remplaçais Radjabov et l’interruption du tournoi à mi-parcours, il ne s’est passé que 3 semaines ! Encore un grand merci à Etienne pour sa réactivité et pour tout le travail accompli dans ce court laps de temps…

Mini-stage de préparation, juste avant les Candidats 2020 (Photo : Alpha Echecs).
Mini-stage de préparation, juste avant les Candidats 2020 (Photo : Alpha Echecs).

L’ensemble constitue quand même un bilan assez positif, même si les déceptions liées au cycle de championnat du monde sont certainement ce qui aura le plus marqué les gens.

Il y a eu une très belle période en 2015/2016, dès qu’Etienne et moi avons commencé à travailler ensemble, même si le tout premier tournoi a été catastrophique (Grand Prix Fide, Kanty-Mansyik), avec une dernière place et un record de 4 défaites d’affilée. Je suis donc redescendu à ce moment-là sur un point bas de 2723, mais la deuxième moitié de l’année 2015, j’ai fini sur les chapeaux de roue pour arriver à 2785 en début d’année 2016. D’ailleurs, je pense que mes meilleures années en termes de résultats sont 2016 et 2017 ; je suis resté invaincu sur une longue période et je suis parvenu à mon point haut à 2819.

S’il y a une année où il est vraiment dommage que je ne me sois pas qualifié sportivement pour les Candidats, c’est bien 2017, qui était sans doute ma saison la plus aboutie…

Le futur a donc déjà commencé pour moi, et je suis assez excité par le nouvel environnement et les nouvelles méthodes de travail qui sont désormais les miens. Je suis sûr que le semestre qui vient me permettra d’absorber le changement et d’aborder les échéances majeures en étant mieux armé.

D’ici là, il reste quand même quelques objectifs de fin d’année, avec le Championnat du Monde des Nations à Jérusalem (20-25 novembre), et bien sûr la défense de mon titre lors du Championnat du Monde Rapide et Blitz à Astana, Kazakhstan (26-30 décembre). Quant aux premiers mois de 2023, rien n’est très clair dans le calendrier pour l’instant…

La seule fois que Maxime était allé en Autriche, c’était à tout juste 10 ans, début décembre 2000. Il y avait disputé à Graz le Championnat rapide des pays d’Europe Centrale et de l’Ouest (Mitropa), catégorie U12. Maxime avait pris la deuxième place du tournoi. 22 ans plus tard, il a eu l’occasion de revenir deux fois en Autriche en l’espace d’un mois ! Début octobre pour y disputer la Coupe d’Europe avec son club d’Asnières, qui obtiendra finalement la médaille de bronze dans la compétition. Puis début novembre avec son nouveau club de Linz, pour les premières rondes de la Bundesliga autrichienne. Les compétitions étaient organisées dans la région du Tyrol, dans les deux cas assez près d’Innsbruck. En termes de résultat, Maxime a réalisé 4/8 au total (+1, -1, =6, avec 5 fois les noirs), pour ce qui pourrait constituer sa dernière apparition en partie classique avant un long moment…

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