En route pour mon 10e Grand Chess Tour !

C’est au forceps que j’ai obtenu ma qualification pour mon 10e Grand Chess Tour consécutif, en 2025. Il aura en effet fallu attendre la dernière ronde du dernier tournoi pour qu’une ultime victoire (contre le champion du monde Ding Liren) vienne valider mon ticket. Un soulagement d’autant plus grand que cette victoire mettait fin à une série de 25 nulles consécutives en parties classiques, et même de 29 dans les tournois du Grand Chess Tour ! Ne pas goûter à la victoire pendant si longtemps, surtout quand on a eu plusieurs belles occasions que l’on a gâchées, finit quand même par vous taper sur le système !

Évidemment, je suis content de cette solidité retrouvée, mais aussi du fait que la seule série toujours en cours est désormais une série plus sympathique, à savoir mon nombre de parties consécutives sans défaite, aujourd’hui à 52.

Retour sur la partie US du Grand Chess Tour 2024, toujours dans le temple du Saint-Louis Chess Club. Et un grand bravo à Alireza pour son nouveau triplé, après celui de 2022… Rapide & Blitz de Saint-Louis, Sinquefield Cup et Grand Chess Tour 2024. Impressionnant !

Tournoi Rapide et Blitz

Depuis 2014, j’ai eu le temps de prendre mes habitudes dans cette ville du Missouri ! J’ai toujours les mêmes routines, je sais quand me lever, quand faire du sport, quand et où aller manger etc…

Arrivé sur place 4 jours avant le début du tournoi, j’ai eu le temps de digérer le décalage horaire et de me préparer à un tournoi extrêmement relevé, tous les membres de l’élite (sauf Magnus) étant présents. Dans ce contexte ultra compétitif, les joueurs en méforme ont été lourdement sanctionnés au score… Évidemment, je pense avant tout à Prag, qui a gâché pas mal de positions – dont une contre moi d’ailleurs -.

Pour ma part, j’étais plutôt en forme au début, mais celle-ci s’est avérée ensuite un peu plus incertaine. J’ai notamment perdu une partie contre Nepo lors de la ronde 7 à partir d’une position dominante ; ça m’a un peu contrarié pour la fin du Rapide, même si j’ai eu un bon final grâce à ma victoire de la dernière contre Dominguez (dans une finale de la Berlinoise !).

En blitz par contre, ça a été beaucoup moins convaincant qu’à Zagreb (13/18 en Croatie, et 8/18 ici, la comparaison est vite faite !). Je sais bien cependant que le blitz est par nature un peu plus aléatoire, surtout à mon âge très avancé 😊. C’est aussi une question de « flow », de rythme, et à Saint-Louis, je n’ai pas pu le trouver, notamment le 2e jour, qui était décisif. Certes, la 1e place commençait à être loin car Alireza avait fait une très bonne première journée. Mais j’étais tout de même à égalité à la 2e place.

Tour-Fou contre Tour à venir ! (Photo : GCT).
Tour-Fou contre Tour à venir ! (Photo : GCT).

Malheureusement, j’ai perdu la première partie contre Hikaru (Nakamura) avec un pion de plus net en finale, pour finalement m’incliner dans Tour-Fou contre Tour 10 coups avant la règle des 50 coups !

Ca m’a fait mal, et après je n’ai pas pu ou su revenir. En tout cas, pas suffisamment pour prétendre réaliser une bonne journée ; surtout après une ultime défaite contre Alireza. J’ai finalement terminé à la 4-5e place du tournoi, ce qui n’était pas terrible et m’a mis dans une situation délicate avant d’entamer la Sinquefield Cup, où je devais impérativement faire mieux que Wesley So tout en gardant un œil dans mon rétro sur Nepo et surtout Prag. C’était la condition pour attraper la 3e place et me qualifier pour le Grand Chess Tour 2025.

Sinquefield Cup

J’ai commencé par deux parties sans histoire. Contre Nepo avec les noirs, j’ai joué pour une des premières fois au top niveau 1.e4 e5 sans opter pour la Petroff. Ça s’est bien passé, j’ai pu neutraliser Ian dans l’ouverture. Ensuite, nulle contre Prag sans trop de vagues, avec quelques petits regrets sur mon traitement de l’Italienne ; mais c’est l’histoire de nos vies de joueurs d’échecs 😊.

Ensuite, premier tournant contre Alireza (Firoujza), qui avait connu un début de tournoi sur les chapeaux de roue, bien aidé cependant par une partie contre Fabiano qui était extrêmement tendue et qu’il avait fini par remporter dans un zeitnot mutuel.
L’ouverture était un système de Londres, que j’avais un peu préparé en amont pour diversifier mes options ; celle-ci était plus agressive impliquant un sacrifice de pion, et menait à des positions avec peu de points de repère, ce que je peux apprécier également. Le traitement de la position était donc extrêmement complexe.

J’avais vu la ligne où il rate l’avantage par 21.h5!, au lieu de son 21.Txg4? gxf5 qui fait basculer la position en faveur des noirs. Mais j’avais vu sans vraiment comprendre ! Certes, j’avais réalisé que l’idée de transférer son Cavalier en d4 me permettait d’être mieux, par exemple 21.Cb3 gxf5 22.Cd4 Fh6. Sauf que s’il commence par 21.h5! gxf5 22.h6 Fh8 23.h7+, mon Fou en h8 ne revient pas en h6 et c’est une énorme différence pour l’évaluation de la position. Ça n’en a peut-être pas l’air au premier abord mais ça se comprend à l’analyse. Cela dit, c’est tellement difficile que ça n’a été vu ni par Alireza, ni par moi…

Dans la partie, je me suis donc retrouvé mieux, mais dans une position complètement irrationnelle. Je savais bien qu’elle demanderait énormément de consolidation de ma part. La partie avançait, je sentais que je jouais les bons coups, mais sans trop savoir où j’en étais en termes d’évaluation. A un moment, quand j’ai dû rendre le contrôle de la colonne g, certes en allant chercher le pion h5 des blancs, je sentais que je commençais à perdre le contrôle car ses Cavaliers pouvaient toujours créer des menaces, et sa Tour sur la colonne g était assez insupportable.

Le tournant, il a eu lieu dans cette position : mon idée était 36…Fxd4. Mais tout d’un coup, j’ai vu 37.Cxd5!? et 37…cxd5 38.Dxd5 Fg7 (seul coup) 39.Df7 De5 (seul coup) 40.Dxh5+ Rg8 ne m’a pas satisfait ; certes, la machine donne l’avantage aux noirs, mais j’étais loin d’être convaincu de ça pendant la partie ! Ensuite, j’ai calculé 37…Fe6 38.Cf6+ Fxf6 39.Dxe6 Tg5 (seul coup) 40.Txg5 Fxg5 41.Dxf5+ Rh6 42.De6+ (42.Dxe4? Dh7! avec un échange de Dames gagnant) 42…Rg7 42.Dxe4 et je me suis arrêté, oubliant complètement 42…Df7! suivi de 43…Fh4 et mon pion f fera la différence. Je suis donc revenu à la position du diagramme et j’ai regardé les autres options qui me paraissaient possibles. 36…Dc8 ne m’a pas plu non plus et j’ai finalement opté pour 36…Db8, qui est un autre bon coup et qui ne gâche rien. Après avoir répété une fois la position par 37.Da4 Dc7 38.Db3 Db8 39.Da4, en dépit de mes 40 minutes et de ma demi-heure d’avance à la pendule, j’ai complètement paniqué et perdu toute objectivité. Je n’ai pas vu le gain le plus simple qui était 39…Th2, forçant soit un piteux repli comme 40.Cd1, 40.Tf1 ou 40.Dc2, soit 40.Cxd5 que l’on peut superbement ignorer par 40…Txf2 et avec la Dame en a4, les blancs n’ont aucun contre-jeu sur mon Roi. A la place, j’ai bêtement répété une troisième fois par 39…Dc7?, une décision qui n’est pas été comprise par les commentateurs et dont j’avoue qu’elle ne répond effectivement pas à une logique rationnelle !

Contre Abdusattorov, rien à signaler; j’étais encore marqué par la partie précédente et je n’ai rien obtenu avec les blancs.

Contre Fabiano (Caruana), juste avant la journée de repos, j’ai repris mes esprits et joué une partie plutôt correcte. L’équilibre n’a jamais vraiment été rompu même si à la fin je commençais à me prendre d’ambition. Mais je me suis dit qu’objectivement je n’avais vraiment pas grand-chose, et qu’en plus, si je déclinais la nulle après ce que j’avais fait contre Alireza… 😊.

Tout sourire avec les officiels (Photo : GCT).
Tout sourire avec les officiels (Photo : GCT).

J’affrontais ensuite Gukesh en doublant les noirs. Une autre Najdorf après celle contre Fabiano, cette fois avec 6.Fd3. Je n’ai pas trop compris son idée dans l’ouverture, parce que je n’ai pas dévié de ce que je joue habituellement, et qu’il semblait ne savait pas trop savoir quel plan adopter. Ça a mené à un milieu de jeu extrêmement compliqué où j’ai donné le pion a6 en me disant que j’allais certainement avoir des compensations sur le plan tactique, dans une position qui restait extrêmement compliquée.

Après 18.Fxa6, j’ai rejeté le sacrifice 18…bxa6 19.Fxe5 Fb5 20.Tf2 dxe5 21.Txd8 Texd8 qui me semblait insuffisant pour les noirs. J’ai préféré jouer pour les compensations positionnelles avec 18…Cfd7 19.Fd3 Fh4. Peu après, il a commencé à manquer de temps, et il y a eu quelques imprécisions de part et d’autre quand la situation s’est décantée au centre. Finalement, Gukesh, qui ne jouait déjà quasiment plus que sur l’incrément, a décidé d’échanger les Dames, ce qui nous a amené à la finale suivante :

Maintenant, c’est la course, et je pense qu’il n’avait pas anticipé que je puisse être rapide moi aussi avec mes pions à l’aile-Roi !

La longue séquence suivante est quasi forcée. J’ai cherché si je n’avais pas d’autres options mais je n’ai pas trouvé. 39…g5 40.a4 h5 41.a5 g4 42.hxg4?! (meilleur était 42.a6! pour garder les pions h car ça tendait un piège diabolique aux noirs ! Si ils continuent comme dans la partie par 42…f3 43.gxf3 gxf3 44.Cc3 Th2 45.Rg1 Fg3? [seul 45…Tg2+ 46.Rh1 Ff2! permet de survivre dans cette ligne : 47.Tf1 Fd4 48.Txf3 Txc2 et les noirs s’accrochent] 46.a7 f2+ 47.Rf1 Th1+ 48.Rg2 Txc1 49.a8=D+ Rg7 50.Db7+ Rg6 51.Dxc6+ Rg5, la grosse nuance est 52.Rxg3! et les blancs gagnent puisque avec la présence des pions h3/h5, la menace 53.h4 mat est létale) 42…hxg4 43.a6 f3 44.gxf3 gxf3 45.Cc3 Th2 46.Rg1 Fg3 (le plus simple, et ce sont maintenant les blancs qui doivent trouver le chemin de la nulle) 47.a7 (et pas 47.Cd1 Te2!) 47…f2+ 48.Rf1 Th1+ 49.Rg2 Txc1 50.a8=D+ Rg7 51.Db7+ Rg6 52.Dxc6+ Rg5 et maintenant que 53.Rxg3? f1=D n’est plus possible puisqu’il manque la possibilité de h4 mat et que par ailleurs, la Dame blanche n’a pas d’échec, Gukesh est obligé de trouver une série de seuls coups pour s’en sortir. 53.Dc4 Tg1+ 54.Rh3! (et surtout pas 54.Rf3? Rh4!) 54…f1=D+ 55.Dxf1 Txf1 56.Rxg3 Tc1

Ici, Gukesh a trouvé le chemin le plus simple vers la nulle, en abandonnant ses deux pions de l’aile-Dame pour obtenir une forteresse avec le Cavalier en d3. 57.Rf3! Txc2 58.Cd1 Td2 59.Cf2! (et pas 59.Ce3? qui ne serait pas une forteresse car après 59…Txb2, les blancs ne seraient pas en mesure d’empêcher le passage du Roi noir vers la case-clé f4) 59…Txb2 60.Cd3 Tb5 61.Re3 Rg4 62.Re2 et les blancs ont le setup défensif parfait.

Une excellente performance défensive de Gukesh, surtout avec si peu de temps à la pendule.

La fameuse finale Berlinoise… (Photo : GCT).
La fameuse finale Berlinoise… (Photo : GCT).

Ensuite contre Anish (Giri) avec les blancs, je me suis fait neutraliser par la fameuse Berlinoise, avant de me créer des difficultés tout seul dans l’avant-dernière ronde contre Wesley (So), même si ça s’est fini par un nouveau partage du point.

Finalement, contre Ding pour la dernière ronde, je connaissais ma mission, car entretemps Wesley, qui avait un demi-point d’avance, avait perdu contre Abdusattorov. Nous étions donc à égalité et il fallait que je fasse mieux que lui pour le devancer au classement final du Grand Chess Tour et prendre cette fameuse 3e place qualificative pour 2025. Pour cette mission, j’avais donc les blancs contre le champion du monde, tandis que lui avait les noirs contre Gukesh. Je savais qu’il fallait garder une position compliquée, d’autant que Ding avait perdu deux jours plus tôt contre Alireza justement sur ce type de position. D’où le choix de la prépa spécifique contre l’Espagnole concocté avec mon entraîneur, et de la gestion du temps également.

Ça a marché au-delà de mes espérances car il s’est très vite mélangé les pinceaux avec 19…Cg6?, qui certes se regarde, mais qui est tellement risqué au regard de la position. Tu sens que si les blancs gagnent un ou deux temps, ça va vite devenir catastrophique pour les noirs. Je crois que mon coup 20.De1! réfute sa conception. Si 20…Cxh4 21.f4! Cg6 22.f5 h4 23.Fh2 et la position noire est au bord de l’implosion. 20…c4!? était la seule façon d’essayer de pêcher en eaux troubles, mais après son choix de 20…Rf8? 21.f3, il n’a jamais pu opposer de vraie résistance tant il semblait un peu ailleurs.

Dans la perspective de son match de championnat du monde qui débutera le 25 novembre contre Gukesh, il peut se prévaloir de quelques points positifs. Au Championnat du monde Rapide et Blitz par équipes en août à Astana, son niveau de jeu était plutôt encourageant, je pense que le fait de jouer en équipe l’a aidé. D’ailleurs, ça va être intéressant de le voir jouer aux Olympiades à Budapest. Mais dans ce type de tournoi comme la Sinquefield Cup, tout le monde est à fond, le couteau entre les dents. Et lui, quand il avait une position prometteuse, il ne la poussait pas au bout. Forcément, ça joue des tours quand finalement il faut commencer à défendre. Sur la fin de tournoi, contre Alireza d’abord puis contre moi, on a senti qu’il retombait un peu dans ses travers. Il lui reste quelques mois et une préparation à peaufiner, mais le temps presse pour retrouver le Ding « prime » qu’on a connu et qui nous manque ! Si le match avait lieu demain, Gukesh serait clairement favori. Mais attendons un peu, car les choses peuvent évoluer très vite : il reste presque 3 mois, il y a d’autres tournois qui vont être joués mais il est vrai que la charge est sur Ding et son équipe, qui doivent trouver les solutions pour le remettre sur les rails.

Classement final du GCT 2024 (Image : GCT).
Classement final du GCT 2024 (Image : GCT).

Avec cette qualification pour le Grand Chess Tour 2025, l’objectif important de cette année est accompli. Mais d’ici décembre, il reste quelques autres échéances. La première, ce sont les Olympiades, où je vais signer mon retour en équipe de France. On a une équipe qui certes est amputée d’Alireza mais qui a quand même fière allure. C’est sûr qu’on va tenter de faire quelque chose de grand ! Au programme ensuite le dernier tournoi du Champions Chess Tour, même si je suis déjà virtuellement qualifié pour la finale en présentiel de décembre.

Il y aura également en octobre la 2e édition de la Global Chess League à Londres, suivie de la WR Masters Cup, dans la capitale britannique également.

Les parties rapides de Maxime :

Les parties blitz :

Les parties longues :


A peine revenu des Etats-Unis le 31 août, Maxime est reparti pour Vichy. En effet, le CREPS (Centre de ressources, d’expertise et de performance sportive) installé dans cette ville du centre de la France accueillait les équipes de France pour un stage de préparation avant les Olympiades de Budapest. Très réputé, le CREPS de Vichy est régulièrement choisi par des athlètes ou des équipes internationales avant une compétition majeure. Le staff d’aide à la performance a donc pris en charge les 10 joueurs et joueuses ainsi que les 2 capitaines pendant 5 jours. Au programme, des séances axées sur le sport, la récupération et le sommeil, sur la base de journées-type assez rythmées. Sans oublier de laisser un peu de temps pour la préparation purement échiquéenne, soit 3 ou 4 heures par jour. Une initiative qui semble très satisfaisante et qui mériterait d’être installée dans la durée.

Briefing avant la muscu (Photo : FFE).
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