J’ai été invité au tournoi de Chennai (Inde, 5-11 novembre) assez tardivement – au début du mois de septembre – par l’intermédiaire du capitaine de mon équipe de Global Chess League, Srinath Naranayan. Nous en avons parlé au sein de mon équipe, et nous nous sommes dit qu’il y avait pas mal d’avantages à accepter. J’étais plutôt sur une bonne dynamique en général, j’avais envie de jouer plus de parties longues sur la fin de l’année. Bien sûr, j’espérais aussi regagner quelques points Elo et en cas de miracle, jouer ma minuscule chance au Circuit Fide. La liste des participants était également intéressante puisque hormis Levon (Aronian), un client contre lequel j’ai joué des centaines de parties, j’avais assez peu rencontré les autres joueurs. Notamment, j’ai pu constater que, par exemple, je n’avais absolument jamais joué avec les blancs contre Sarana, même dans un blitz quelconque !
C’était donc l’occasion de rencontrer la jeune génération, car les Gukesh, Prag ou Abdussatorov, même si ils en font partie, sont avant tout des joueurs de l’élite. Or, Sarana, Maghsoodloo, Tabatabaei sont des joueurs qui sont assez jeunes mais que je vais assez peu jouer prochainement, en particulier puisqu’ils ne sont pas (encore ?) qualifiés pour le Grand Chess Tour.
Je suis arrivé quelques jours en avance dans le sud de l’Inde pour essayer de trouver ma forme et éviter le jet lag. Mais il est vrai que je me suis senti fatigué avant même le début du tournoi, parce que j’ai quand même énormément joué en août, septembre et octobre. J’avais aussi ressenti cette fatigue pendant un camp d’entraînement avant de partir en Inde. Il se peut que j’aie sous-estimé la charge physique et mentale qui pesait sur moi. A posteriori, je comprends que je ne suis pas arrivé à Chennai en ayant complètement récupéré de ces trois mois…
Petite lueur d’espoir au tirage au sort, avec pour une fois un appariement plutôt favorable, avec quatre fois les blancs et trois fois les noirs. Et les noirs notamment contre les deux meilleurs Elo, Levon et Erigaisi, la terreur montante qui était très proche des 2 800 et que je venais de rencontrer en finale du WR Masters de Londres. Je me suis donc dit que c’était l’occasion d’être solide avec les noirs et de saisir les opportunités avec les blancs.
Ça s’est très bien passé au départ puisque j’ai pu battre Maghsoodloo grâce à une assez jolie prépa qui m’avait été concoctée par mes secondants. Confronté à de nombreux problèmes et en manque de temps, le joueur iranien n’a pas pu défendre la position. Puis, nulle assez facile avec les noirs contre Aravindh, un autre joueur indien que je connaissais assez peu également, qui a d’ailleurs remporté le tournoi et est monté à 2718 !
Jusque-là, le tournoi se passait plutôt bien. En plus, je doublais les blancs lors des rondes suivantes, donc je pensais que c’était l’opportunité de gagner au moins une des deux parties. Et c’est là que ça a déraillé 😊.
Je dois dire que Tabatabaei a tout simplement réalisé la partie absolument parfaite, incluant des coups vraiment pas évidents du tout. A un moment, je n’ai pas su reconnaître le danger latent dans la position et je me suis retrouvé en difficulté. J’ai donc subi un vrai coup d’arrêt, surtout que ça stoppait net ma série d’invincibilité, qui s’arrête donc à 72 parties longues !
Le lendemain contre Vidit, j’ai décidé d’éviter la Berlinoise, et on s’est retrouvés dans une Catalane fermée que je n’avais pas forcément prévue. Mais au fur et à mesure, la partie s’est compliquée et j’ai obtenu quelques chances. Malheureusement, j’ai pris une mauvaise direction et j’ai finalement dû batailler ferme pour annuler une finale de Tours délicate. Ensuite, je dois dire que j’ai disputé une véritable non-partie contre Levon, cumulant une improvisation d’ouverture et des erreurs malencontreuses dans le début de milieu de jeu. Levon a été précis dans la concrétisation et dans le calcul des variantes pour s’adjuger le point.
Avec 2/5 à deux rondes de la fin, il va sans dire que ça ne se passait plus très bien ! Après une nulle insipide contre Sarana, j’ai au moins eu le plaisir de disputer une partie de dernière ronde assez dingue contre Erigaisi ; j’ai donc choisi de l’analyser complètement ci-dessous.
-1 au final (3/7), ce n’est clairement pas satisfaisant, avec notamment une partie très mauvaise sur les sept, et quelques autres sans histoire. A ma décharge, j’ai lutté pendant le tournoi pour trouver ma forme.
Un mot sur les conditions de jeu à Chennai, très agréables. Il y a un vrai boom des échecs en Inde et ça se voit vraiment, notamment à travers le nombre de fans présents !
Maintenant, il faut se préparer à remonter en selle, car il y a deux gros objectifs de fin d’année.
Tout d’abord, la finale du Champions Chess Tour 2024 à Oslo (17-21 décembre), et tout de suite après, le championnat du monde Rapide & Blitz à New-York (26-31 décembre).
L’idée, c’est que j’ai un mois quasiment pour me préparer à ces deux échéances. Et l’objectif affiché, c’est d’en gagner un des trois !
Erigaisi – Mvl
Chennai, Ronde 7
1.d4 Cf6 2.c4 g6 3.Cc3 d5 4.Db3 dxc4 5.Dxc4 Fe6 6.Db5+ Fd7 7.Db3 c5 8.d5 b5 [Erigaisi a réussi à me surprendre avec cette ligne assez marginale contre la Grünfeld. Ici, je ne connaissais que 9.Cxb5]
9.e4!?
9…b4 [Meilleur était 9…c4! 10.Fxc4 bxc4 11.Db7 Db6 12.Dxa8 Cg4! (sur l’échiquier, je n’ai vu que 12…Fg7? 13.Fe3 Dxb2 14.Tb1 Dxc3+ 15.Fd2+–) 13.Cge2 (13.Ch3? Fg7 et l’action du Fou sur la grande diagonale change tout) 13…Fg7 14.0–0 0–0 15.h3 Ca6 16.Dxf8+ Rxf8 17.hxg4 Fxg4 et tout va bien pour les noirs]
10.e5 bxc3 [10…Cg4 11.e6 ne m’a pas franchement attiré pendant la partie, même si la machine désapprouve. En outre, je suis plus habitué aux transactions …bxc3/exf6 dans la Grünfeld !]
11.exf6 Db6
12.Ce2 [Ici, Erigaisi a réfléchi très longtemps, et il a opté pour un coup très intéressant. Bien sûr, je m’attendais surtout à 12.Dxc3 exf6 13.Cf3 et mon intention ici était 13…c4 (13…Fg7 14.De3+ Rd8 15.Dc3) 14.Fe3 Fb4 15.Fxb6 Fxc3+ 16.bxc3 axb6 17.Fxc4 0–0 avec un espoir de compensations pour le pion; 12.bxc3 était tout à fait possible également]
12…Dxf6 [J’ai aussi regardé 12…cxb2 13.Fxb2 exf6 14.Dxb6 axb6 15.Fxf6 Tg8 16.Cc3 mais ici je n’ai pas trouvé de coup satisfaisant : en effet, 16…Ff5? (pourtant 16…Fe7! 17.Fxe7 Rxe7 18.Tb1 Ff5 19.Txb6 Cd7 suivi de 20… Tgb8 donnait à coup sûr assez de jeu pour le pion, ce que je n’ai pas réalisé pendant la partie) 17.Fb5+ Cd7 18.0–0 ne va pas du tout !]
13.Cxc3 Fg7 14.Fe2 [Je pensais à 14.Fc4 0–0 15.0–0 mais ici les noirs ont 15…Ff5! contrairement à la partie !]
14…0–0 15.0–0 Fc8 [Je voulais faire marcher 15…Ff5 mais après 16.Db7 Cd7 17.g4 (la raison de 14.Fe2!) 17…Fxg4 (17…Tfb8 18.Dc6) 18.Fxg4 Ce5 19.Fe2 ça ne fonctionne pas, par exemple 19…Tfb8 20.Dc7 Tc8 21.Da5]
16.Fe3 Cd7 17.Da3 Fb7 18.Tac1 Tfd8 19.Tfd1 Dh4!
20.Fb5 [Encore un coup fruit d’une longue réflexion, qui n’est pas forcément le premier choix, mais qui est très intéressant]
20…Fe5 [20…Db4 21.Fc6 (21.Dxb4!? cxb4 22.Ca4) 21…Dxa3 22.bxa3 Fxc3 23.Txc3 (23.Fxb7 Tab8 devait suffire pour égaliser) 23…Fxc6 24.dxc6 Ce5 = (la pointe que j’ai manquée, la menace de mat du couloir permet de récupérer le pion c6 et de sauver la partie) ; 20…Cf6!? était également très tentant, mais il fallait voir une ligne complexe qui nous a échappée à tous les deux : 21.Dxc5 Cg4 22.Ff4 Tdc8 23.Fc6 Fe5!! (23…Fxc6 24.dxc6 Txc6 25.Dxc6 Dxf2+ 26.Rh1 Dxf4 27.Dxa8+ Ff8 28.g3 Df2 serait sympa, mais malheureusement, la Dame revient en g2 !) 24.Fxe5 Cxe5 et les noirs vont récupérer le pion en c6 ; 25.Td4? Cf3+ 26.gxf3 Dg5+–+]
21.h3 [21.g3 Dh3]
21…Fd6 [C’était l’idée, même si j’ai bien compris que l’ordi n’approuve pas]
22.Fc6 [22.Fxd7 Txd7 23.Fxc5 Fe5 laissait une activité certaine aux noirs]
22…Fxc6 [J’ai décidé de me lancer dans une opération tactique à hauts risques, notamment parce que je n’ai pas vu 22…Tab8 23.Dxa7 Fc8! (encore un retour du Fou sur sa case de départ !) 24.Da4 Tb4 et les pièces noires commencent à lorgner vers le Roi]
23.dxc6 Ce5 24.Fxc5 Cc4
25.Da6 [J’analysais comme un fou 25.Db4 a5 26.Db5 Tdb8 (26…Tab8? 27.c7! Fxc7 28.Txd8+ Txd8 29.Cd5+–) 27.Fxd6 (Il se trouve que 27.Td4! gagne mais c’est un coup si difficile à envisager, surtout de loin ! 27…Dg5 ((27…Txb5 28.Cxb5 Dg5 29.Tdxc4 le pion c6 est trop fort)) 28.Dxc4 Dxc1+ 29.Td1 Dxb2 30.Fxd6 exd6 31.c7 Tc8 32.Txd6 et le pion c est à nouveau trop fort) 27…Txb5 28.Fg3 Dg5 29.Cxb5 Dxb5 30.c7 Tf8 (30…Cd6 31.Fxd6 exd6 32.c8D+ Txc8 33.Txc8+ Rg7 34.Tc2, les blancs vont continuer par Td4, a3 et Tcd2 gagnant le pion d6 et probablement la partie) 31.Td8 Cb6 32.Tb8 Rg7 (le bon ordre de coups ! 32…Tc8? 33.Td1 Rg7 34.Td8 Dc5 35.Tbxc8 Cxc8 36.Txc8 e5 37.Te8 Dxc7 38.Fxe5++–; 32…Dxb2? 33.Ff4! et 34.Fe3) 33.c8D Txc8 34.Tcxc8 Dxb2 et la partie continue ! Vu la complexité des variantes, je savais que j’avais pu rater quelque chose (en l’occurrence 27.Td4!), mais c’était valable pour mon adversaire aussi]
25…Fxc5 26.Txd8+ Txd8 27.c7 Tf8 [27…Dxf2+? 28.Rh1 Td2 est totalement insuffisant car les Dames reviennent en défense, par exemple 29.c8D+ Rg7 30.Dac6]
[Ici, les blancs avaient trois coups plausibles, nous avions donc une masse importante de variantes complexes à calculer !]
28.Ce4!? [Tout d’abord le logique 28.Cd1 qui a le mérite de protéger f2 tout en enfilant les pièces mineures noires sur la colonne c. Mais j’avais prévu la riposte… 28…Cb6! 29.Txc5 Dd4 30.Tc1 (30.c8D?? Dxd1+ 31.Rh2 Dd6+ 32.g3 Cxc8) 30…Dd2 31.Ta1 De1+ 32.Df1 (32.Rh2 De5+) 32…De5 33.Tc1 Tc8 34.Dd3 Cd5 35.Db5 e6 et les noirs finissent par capturer le pion c7, avec égalité !]. 28.c8D! était finalement le coup le plus trivial et le meilleur : 28…Dxf2+ (28…Fxf2+? 29.Rh1 Txc8 30.Dxc8+ Rg7 31.Ce2 ((31.Ce4? Fe3; 31.Cd1? Fb6; 31.Dg4 tout de suite était également fort)) 31…Cd6 ((31…Cxb2? 32.Dc3+ Df6 33.Dc2)) 32.Dg4) 29.Rh1 Txc8 30.Dxc4 Dxb2 31.Ce4 les blancs vont gagner une pièce, mais avec 2 pions et un contre-clouage sur la colonne c, la situation des noirs n’est pas encore désespérée.
28…Dxe4 29.c8D[29.Dxc4? Fxf2+ 30.Rxf2 Dxc4 31.Txc4 Tc8 32.b4 Rf8 33.a4 Re8 et les noirs gagnent le pion c7 au tempo près !]
29…Fxf2+ 30.Rh1 [30.Rxf2?? De3+ 31.Rf1 Cd2#]
30…Ce3?! [Ici, j’ai longtemps réfléchi, mais non pas, comme beaucoup ont cru, parce que j’hésitais à jouer la finale issue de 30…Txc8 31.Dxc8+ Rg7 32.Dxc4 Fd4 (seul coup, la finale sans les Dames n’offre absolument aucun espoir) 33.Td1 e5, par rapport à laquelle je n’étais pas très optimiste. En réalité, j’ai très vite décidé de laisser les blancs avec les deux Dames, car j’ai compris que leur force commune en attaque ne pourrait pas vraiment s’exprimer dans cette position, et que les blancs ne seraient peut-être pas en capacité de forcer l’échange favorable d’une paire de Dames. Mon vrai dilemme, c’était en réalité de choisir la case du Cavalier : d6 ou e3 ? e3 semble plus naturel, avec des menaces plus directes, mais l’analyse montre qu’il fallait passer par d6 pour éviter un échange de Dames, par exemple 30…Cd6! 31.Dc2 Dh4! (j’avais vu 31…Df4? 32.Dae2 Fd4 33.Tf1 ((33.Dxe7? Cf5)) 33…Dh4 ((33…Dg3 34.Dcd3)) 34.Dg4) 32.Dae2 Fd4 suivi de …e5]
31.Dcc6 Dd4 [31…Df4 32.Df3 Dxf3 33.gxf3 Cf5 34.Tc8 est sans espoir à long terme à cause de la majorité à l’aile-Dame]
32.Daa4! [Les blancs n’ont pas le temps de sauvegarder leur majorité, par exemple 32.b3? Td8! et les menaces noires deviennent très concrètes !]
32…Dxb2 33.Db3 Dd2 [33…Dxb3 34.axb3 Cf5 aurait laissé de meilleures chances d’établir une forteresse, car avec un pion b3 au lieu de a2, le Fou aura un accès stable à la case b6 (pas de a4-a5). Mais à ce moment-là, je pensais encore pouvoir éviter l’échange de Dames !
34.Dbc3? [Bonne case, mais mauvaise Dame ! Il a probablement oublié qu’après 34.Dcc3! les noirs devaient se résoudre à échanger les Dames par 34…Dxc3 (34…Dd6? 35.Dbb2 Cd1 autorisait un mat original en g7 avec batterie de Dames !) 35.Dxc3 Cf5 36.g4 Cd6 et les chances de construire une forteresse dans cette finale sont faibles]
34…Dxa2 35.Df3 [35.Ta1 De2 36.Df3 Dxf3 37.gxf3 Cf5 ressemble cette fois-ci complètement à une forteresse !]
35…Cf5 36.Dc2 [équivaut à une proposition de nulle mais il n’y avait plus de moyen de continuer : 36.g4 Cg3+ 37.Rg2 Ce2 38.Dc2 Cxc1 ; 36.Ta1?! Cg3+ 37.Rh2 De6 et ce sont les blancs qui doivent être vigilants sur les cases noires autour de leur Roi, par exemple 38.Ta4 (38.Dxf2? Ce4 avec une rare fourchette sur 2 Dames !; 38.Db2 Dd6) 38…Dd6]
36…Cg3+ [J’ai vaguement envisagé de jouer pour le gain, ce que j’aurais pu faire dans d’autres circonstances. En effet, après 36…Dxc2 37.Txc2 Fg3!, le Fg3 est une épine permanente, qui » coffre » le Roi blanc. Les noirs se moquent de leur pion a et vont chercher à stabiliser le Fg3 puis à créer les conditions favorables à une poussée du pion e, après une suite du genre 38.Db7 h5 39.Tc8 Txc8 40.Dxc8+ Rg7 41.Da6 h4 42.Dxa7 e5 43.Rg1 Cd4 44.Rf1 Ff4. C’est certainement objectivement insuffisant, et la machine montre d’ailleurs un imperturbable 0.00, mais c’est à coup sûr très pénible à jouer pour les blancs en pratique]
37.Rh2 Cf1+ 38.Rh1 ½–½
Une partie vraiment spectaculaire et sympa à jouer !
Les parties de Maxime à Chennai :
La France est à l’origine du Championnat d’Europe des Entreprises : cette compétition a été créée en 2016, lors du 87e congrès de la FIDE. Ouverte aux entreprises situées en Europe, elle se dispute par équipes de 4 joueurs, à la cadence de 15+5. Chaque équipe à droit à deux joueurs extérieurs à l’entreprise. Cette année, la compétition aura lieu à Asnières, les 22 et 23 novembre. 57 équipes sont engagées, dont par exemple la Banque de France, Google, Microsoft Europe, Dassault Systèmes, Volkswagen ou encore la Commission Européenne.
Quel rapport avec Maxime, direz-vous ? Parce qu’il participera à la compétition sous les couleurs de Leonard Echecs, qui accompagne les collectivités, les clubs et les entreprises dans la conception, le développement et l’animation de leur vie échiquéenne, et dont le Président, Jean-Claude Moingt, est également le responsable de son club français d’Asnières.
Une compétition qu’il ne s’agira pas de prendre à la légère puisque 20 Grand-Maîtres figurent tout de même sur la ligne de départ !