La saison des tournois a commencé sur les chapeaux de roues avec le Freestyle Chess Paris, deuxième étape d’un circuit au format innovant qui m’a offert une wildcard pour rejoindre un plateau de 12 joueurs. Le lieu était superbe, au cœur du Parc de Vincennes, le niveau de jeu très relevé, et j’avais hâte de me frotter à ce format encore nouveau pour moi.
Découverte du Freestyle
Le tournoi a débuté par des parties rapides en Chess960, avant d’enchaîner avec des parties longues – une vraie nouveauté pour moi. Contrairement aux formats classiques, la préparation théorique est ici bien moins lourde. Moins de temps passé à plancher sur des variantes… mais plus d’intensité pendant les parties ! On peut très facilement consommer 30 à 40 minutes dès les premiers coups, tant ils conditionnent la suite de la partie.

Une phase rapide convaincante
De retour du Championnat d’Autriche par équipes le matin même (voir encadré), j’ai enchaîné avec une journée médias plutôt intense. Après une première journée plutôt laborieuse dans le format rapide, et trois premières parties très difficiles, j’ai réussi à inverser la tendance le lendemain, enchaînant de bonnes performances et assurant la qualification pour la phase finale sans trop de frayeurs – mais avec un soupçon de réussite, il faut l’avouer.
Eliminé par Caruana
En quart de finale, j’ai eu le « choix » entre Caruana et Nakamura. Un choix cornélien, évidemment 😊. J’ai finalement opté pour Caruana, mais le match en parties longues ne s’est pas déroulé comme je l’espérais.
Dans la première partie, j’ai rapidement perdu le fil dans l’ouverture ; malgré un bon retour dans le milieu de jeu et un net avantage, je n’ai pas su conclure. Dans la seconde, une décision stratégique précoce m’a coûté cher et je n’ai pas réussi à m’en remettre. En Freestyle, il y a toujours des décisions qui sont difficiles à prendre : garder l’équilibre ou tenter des choses un peu différentes parce que les pièces ne sont pas placées au même endroit au départ et que ça change certaines configurations, qui sont plus naturelles aux échecs classiques ?
Matches de classement et ambiance du tournoi
Éliminé de la course aux premières places, j’ai affronté Abdusattorov et Erigaisi pour les places d’honneur. Une victoire et une défaite à la clé.
Côté ambiance, le tournoi était vraiment agréable, malgré un petit regret : l’absence de public sur place, qui aurait apporté une belle énergie supplémentaire. Heureusement, quelques amis ont pu passer, ce qui m’a fait plaisir.
Réflexion pré-partie : un point à revoir ?
Un mot sur le format : les 10 minutes de réflexion communes avant chaque partie sont une idée intéressante pour le public, mais elles peuvent nuire à la variété du jeu. Les joueurs tombent souvent d’accord sur des ouvertures similaires, ce qui limite la créativité. À l’inverse, à l’Open Freestyle en Allemagne qui suivait immédiatement, ce temps n’existait pas, et les ouvertures étaient bien plus variées. J’ai même été le seul à jouer 1.b4 lors de la dernière ronde !

Une 6e place à Paris et enchaînement à Karlsruhe
J’ai donc terminé à la 6e place à Paris, un résultat correct sans être exceptionnel. Le rapide s’est bien passé, mais les parties longues ont révélé quelques manques de repères – logique pour une première.
Comme je viens de l’évoquer, direction ensuite Karlsruhe, pour un open très dense avec deux parties par jour. Un format intense, forcément épuisant. Une défaite à la ronde 2 a sérieusement compromis mes chances. J’ai bien réagi, mais le dernier jour, deux nulles au lieu de deux victoires m’ont privé de la qualification pour le prochain Grand Slam de Las Vegas (15-19 juillet).
Rien n’est perdu cependant : un tournoi de qualification en ligne est prévu, donc je reste concentré 😊.
L’open de Karlsruhe, malgré tout, a été un beau moment : plus de 3000 joueurs, une ambiance électrique, beaucoup de photos et d’autographes (même si je décline pendant les parties !).
Voici maintenant quelques positions intéressantes survenues lors de mes parties dans les deux tournois Freestyle :
FREESTYLE PARIS
MVL-NAKAMURA

Dans cette position complètement désespérée pour les blancs, Hikaru a raté la touche finale 44…c6!, et le mat par …b5+ et …Ta3 est absolument imparable ! Même après 44…axb4 45.h8=D, il était toujours temps de jouer 45…c6!. Mais Hikaru a eu l’idée trop tard, et après 45…Ta3+? 46.Rb5 Tc3 47.Ra4 Ta3+ 48.Rb5 Tc3 49.Ra4 c6, les blancs ont eu la ressource 50.Tb8+! Cxb8 51.Rxb4, et même si la défense reste délicate, les chances de nulle sont toujours présentes (1/2, 77 cps).
MVL-CARUANA

Ma position est très supérieure, et Fabiano est passé en mode survie avec le coup 22…f4. Malheureusement, j’ai fait une grosse faute de calcul ici avec 23.gxf4?, oubliant complètement que 23…Cxf4! était possible, après quoi les noirs échangent les Dames et soulagent considérablement leur position (1/2, 43 cps).

ABDUSSATOROV-MVL

Une partie remarquable du jeune Ouzbek. 26.Fg6!, le premier d’une série de 4 coups de Fou sur cette même case qui s’avéreront à chaque fois être les seuls coups vers le gain. Une occurrence vraiment spectaculaire ! 26…Ccd6 27.Ce4 Cxe4 28.Fxe8 Rf8!? (une défense ingénieuse car 29…Txe8 30.Dg7+ ou 29…Rxe8 30.Dg7 suivi de 31.Txd7 mais…) 29.Fg6! (et de deux !) 29…f5 (29…Cc5 30.Th3! Tg8 31.Th7 ou 30…Txh3 31.Dxh3 et la pénétration de la Dame est décisive) 30.Fxf5 Cf6 31.Dg5 Dxb2

32.Td4! (coupant de manière décisive le retour de la Dame noire en défense) 32…Ce8 33.Fg6! (et de trois ! Menace, entre autres, 34.Dd8) 33…Da3 34.De5 Tg8 35.Fxe8 Tc2 (35…Df3 se heurtait à la même réponse) 36.Fg6!. Le bouquet final ! Seul coup gagnant, mais il force l’abandon puisque 36…Txg6 37.Db8+ mène au mat.
ABDUSSATOROV-MVL (Départage)

Les blancs sont complètement dominants et vont gagner un pion, mais après 23…Cg4, il faut choisir lequel prendre. 24.Dxc5? (mauvaise pioche ! Les noirs n’avaient aucune compensation digne de ce nom après le simple 24.Dxe4) 24…Tf5! (la douche froide. La Dame noire ne peut plus contrôler e3 et les blancs doivent donner la qualité) 25.Dd6 Ce3 26.g3 et après quelques autres escarmouches, la partie s’est terminée par la nulle.
FREESTYLE KARLSRUHE

PASTAR (2359)-MVL

Après avoir longuement résisté, le MI bosniaque se décide à craquer ! 58.Ch1? (après n’importe quel coup de la Ta1, tout restait à faire pour les noirs) 58…Txd3! 59.Rxd3 Tb3+ 60.Re2 (60.Rc2 Txh3 61.d3 aurait obligé les noirs à trouver 61…Tf3!, dominant le Ch1 et empêchant tout contre-jeu par Tf1) 60…Fxe4 61.Cf2 Ff3+ 62.Re1 e4 et le rouleau compresseur noir s’impose (0-1, 76 cps).
FEUERSTACH (2458)-MVL

Un exemple de partie qui peut mal tourner dès les premiers coups !
1.0-0-0 g6 2.d4 f5 3.h4?! (un premier pas dans la mauvaise direction) 3…c5! 4.g3? (délaisser le centre ne va pas donner les résultats escomptés) 4…cxd4 5.f4 e5! 6.Dxb7? (les blancs aggravent leur cas) 6…Cb6 7.e4 fxe4 8.Dxe4 Fd5 9.De2 Ce6! 10.fxe5 0-0 et la position blanche est déjà un champ de ruines (0-1, 19 cps).
MVL-MENDONCA (2643)

La partie de la dernière ronde qui, comme souvent dans les Opens, s’avère être décisive. En dépit de la symétrie, les blancs sont mieux car leur pièces sont plus actives, mieux développées, et le Roi noir n’est pas complètement serein en f7. Mais il faut être très précis pour empêcher les noirs d’égaliser. 21.Dc2? (et ce coup joué trop vite ne l’est pas, précis ! Il fallait jouer 21.Db2! qui empêchait la liquidation car si les noirs jouent comme dans la partie par 21…Ta8 22.a4 Ce6, ils perdent après 23.e4 Dc6 24.Cxe6 [qui n’est pas possible avec la Dame en c2] 24…Dxe6 [24…Rxe6 25.Db3+ Rd7 26.Df7 et la balade du Roi noir ne va pas bien se terminer] 25.Dxb7 Txa4 26.Fc5 Tc4 27.Da7 et les noirs ne se libéreront pas du clouage. Sur 21.Db2!, les noirs auraient dû défendre la finale avec un pion de moins qui survient après 21…Ce6 22.e4 Dc6 23.Db3 b6 24.Cxe6 Dxe6 25.Dxe6+ Rxe6 26.Tb1!) 21…Ta8 22.a4 Ce6 23.Td1 Dc6 24.Db3 b6 25.Ce4 Dxa4! le coup qui m’avait échappé, et qui force une nulle immédiate après 26.Cd6+ Rf8 27.Dxa4 Txa4 28.Fxb6.
Impossible de conclure ces lignes sur le Freestyle sans souligner la performance historique de Magnus Carlsen, qui remporte les deux tournois (ça, c’est la routine 😊), et qui réalise un extraordinaire 9/9 dans l’Open de Karlsruhe ; les superlatifs manquent…
Et maintenant : retour au Grand Chess Tour
Prochaine étape pour moi : le Grand Chess Tour. Retour aux échecs classiques avec une première phase rapide à Varsovie (26-30 avril), suivie de parties longues à Bucarest (7-16 mai). C’est un des grands objectifs de l’année, avec bien sûr l’envie de finir dans le top 3 du circuit voire, pourquoi pas, remporter enfin le GCT après de si nombreuses deuxièmes places depuis 10 ans !
Les parties de Maxime à Paris :
Les parties de Maxime à Karlsruhe :

Juste avant d’entamer sa séquence de tournois en Freestyle, Maxime était allé quelques jours en Carinthie, dans le sud de l’Autriche, afin d’y disputer la phase finale du Championnat national par équipes. Lui et ses camarades du club de Linz ont remporté la compétition pour la troisième année consécutive, cette fois avec une marge très conséquente. Il faut dire qu’avec une équipe composée notamment de Mvl, Mamedyarov, Maghsoodloo, Sarana, Esipenko et Bacrot, la barre était placée bien trop haute pour les concurrents. Toutefois, conscient du fait que son équipe était sujette aux critiques, le Directeur du club et Président de la Fédération autrichienne, Michael Stöttinger, a décidé de la retirer de la compétition la saison prochaine. Tout en précisant cependant que cette équipe avait été « construite autour de GMI qui étaient de vieux amis ».