Ma Coupe du Monde (Partie 2)

¼ FINALE :

MVL – ARONIAN (2758) 2.5-1.5

Dans la première partie avec les noirs, je savais dans quoi je m’embarquais quand je suis rentré dans cette ligne de la Grünfeld 5.Fg5. Une position un petit peu difficile à défendre où je vais devoir trouver un ou deux coups précis pour égaliser complètement ; ce qui a été le cas après 25…f5! (nulle, 44 coups).

Aronian-Mvl, ¼ finale aller.
Aronian-Mvl, ¼ finale aller.
¼ de finale contre Aronian, un classique (Photo : Fide).
¼ de finale contre Aronian, un classique (Photo : Fide).

Dans la deuxième partie, j’ai amélioré la variante de l’Italienne jouée quelques jours plus tôt contre Jakovenko, avec 15.Ce4 au lieu de 15.De4.

Mvl-Aronian, ¼ finale retour.
Mvl-Aronian, ¼ finale retour.

Mais j’ai vite commis l’erreur 19.Fg5? qui n’a aucun sens en fait, et que j’ai joué beaucoup trop vite. Dans mon esprit 19…h6 20.Fh4 ne changeait rien, mais en fait 20…g5 21.Fg3 Rg7 suivi de …f5-f4 n’allait pas du tout, et j’ai donc dû me résoudre au triste 20.Fxe7.

C’est dommage parce que tout était mieux pour les Blancs avec la paire de Fous, par exemple 19.a4, ou 19.Cd2-c4, voire 19.Ff4 (nulle, 31 coups).

Dans la première partie rapide, j’ai fait une bonne ouverture avec les noirs.

Aronian-Mvl, ¼ finale tie-break (1).
Aronian-Mvl, ¼ finale tie-break (1).

A un moment, en voulant mettre la pression au temps, je me suis un peu enflammé avec 15…Fc6, oubliant 16.Ce4!. J’aurais dû jouer 15…Cc6. Je sais que Magnus, qui commentait en direct, a plutôt critiqué le coup suivant 16…Fxe4, mais devant l’échiquier j’ai eu le sentiment que j’avais déjà gâché. Donc, Magnus et moi arrivons à la même conclusion mais avec un coup de décalage !

Après, dans mon esprit, je continuais quand même à jouer pour l’initiative. D’ailleurs, je suis étonné que ce soit limite moins bien pour les Noirs, car ça n’a quand même pas une tête à être défavorable ! Du coup, j’ai été un peu surpris qu’il me propose nulle, car je voyais arriver une finale complexe où tout le monde allait avoir sa chance (nulle, 31 coups).

La salle de jeu s’éclaircit ! (Photo : Fide).
La salle de jeu s’éclaircit ! (Photo : Fide).

Dans la deuxième, j’ai obtenu une bonne position mais je me suis vraiment emmêlé les pinceaux.

Mvl-Aronian, ¼ finale tie-break (2).
Mvl-Aronian, ¼ finale tie-break (2).

Dans cette position, je me suis rendu compte que le Cavalier noir allait arriver en c5 et que je n’aurais plus rien. J’ai donc pris la décision de jouer 22.Dc1 Cd7 23.Da3 Cc5 24.f4. Evidemment, c’est faux à cause de 24…exf4 25.Cf5 Df8 26.gxf4 Tf6 suivi du sacrifice de qualité 27…Txf5! qui profite de l’éloignement de la Dame blanche. Mais il fallait le voir dès le début de la variante, et j’ai raté ce coup. Sans ce sacrifice de qualité, ce que j’ai fait n’aurait pas été aussi critiqué ! Du coup, ça a été la douche froide pour moi, parce qu’à aucun moment de la variante je n’ai réalisé qu’il y avait ce 27…Txf5!. Quelques coups plus tard, Levon a raté un gain direct, que je n’avais pas vu non plus d’ailleurs 🙂 ; mais en rapide, dans des positions très riches tactiquement, vraiment ce sont des choses inévitables, on ne peut pas tout voir comme la machine.

Après, je sentais qu’il n’avait plus trop d’avantage ; et au lieu de prendre la nulle par perpétuel, il a gaffé horriblement en donnant une pièce. Evidemment, il a compris tout de suite et il s’est un peu décomposé (1-0, 53 coups).

Il faut dire que le format est très violent ; on a eu le même jour l’Armaggedon dramatique entre Yu Yangyi et Vitiugov, un summum dans le genre…

En interview avec l’ami arménien (Photo : Fide).
En interview avec l’ami arménien (Photo : Fide).

½ Finale :

MVL – RADJABOV (2758) 0.5-1.5

Dans le match aller, j’ai joué le premier coup du tournoi dont j’étais fier, c’est 11.Te1.

Mvl-Radjabov, 1/2 finale aller.
Mvl-Radjabov, 1/2 finale aller.

D’ailleurs, ce n’est pas le coup que j’avais dans mon fichier 🙂 mais sur l’échiquier, 11.Te1, avec l’idée de pouvoir jouer Fe3, m’a beaucoup plu. Je me disais que c’était un peu un coup à la Grischuk ! Tu réfléchis 15 minutes sur cette position, on se demande bien pourquoi et ça a l’air d’être n’importe quoi, puis tu lâches un petit coup qui a l’air anodin. Heureusement pour lui, après 11..Cf7 12.Fe3, il a 12…Db7, seul coup. Si 12…Dxb2? 13.Tab1! Dxc3 14.Fd4 Dd3 15.Tbd1 et la Tour protège e4 ! Et si 12…Da6 13.Dxa6 Fxa6 14.Tad1 suivi de 15.c5 est désagréable pour les noirs. Après 12…Db7, le problème pour moi, c’est que je ne peux plus jouer 13.c5 car b2 devient prenable, la Dame noire ressortant maintenant du piège via d3 et a6.

Du coup j’ai joué 13.Db3, et j’étais plutôt content de moi sur le coup ! Je pensais être un peu mieux, ce qui a effectivement été le cas dans la partie, mais parce qu’il a raté 13…Tb8! 14.Dxb7 Txb7 15.b3 f5 16.Fd4 e5!, et son contre-jeu dynamique compense ce qui me semblait être un avantage blanc statique. En revanche, après 13…Dxb3?! 14.axb3 Tb8 15.Txa7 Txb3 16.Ca4 Tb7 17.Txb7 Fxb7 18.Cb6!, j’ai pris l’avantage.

Malheureusement, il y a eu un moment où je n’ai pas bien cerné la position. Après 18…d6 19.c5 e5, j’aurais dû jouer 20.Ta1! au lieu de 20.b4?!.

En fait, j’y ai renoncé car sur l’échiquier, je n’aimais pas la position après 20…d5 21.Ta7 Tb8, et 21.exd5 cxd5 22.b4 d4 me semblait également très incertain ; je pensais que ça pouvait mal tourner… Mais c’est juste un net avantage pour moi, même si ça devient beaucoup plus tendu, et sans garantie ! Tel que j’ai joué, j’ai juste abandonné l’avantage (nulle, 31 coups).

Dans le match retour, comme d’habitude, je me suis planté dans l’ouverture. Je sais que je n’aurais pas dû jouer si vite…

Radjabov-Mvl, 1/2 finale retour.
Radjabov-Mvl, 1/2 finale retour.

… Ce qui s’est passé dans ma tête c’est qu’au lieu de 10…0-0, je pensais jouer 10…Fc6, mais j’ai vu le très désagréable 11.b4! ; si 11…cxb4 12.cxb4 Fxb4 13.Db2!, et si 11…b6 12.b5 Fb7, les blancs vont manoeuvrer le Cavalier vers c4. Du coup, je suis revenu vers 10…0-0, et je me suis dit que sur 11.e5 j’avais 11…Fc6 ; j’empêche 12.De4 ; j’empêche aussi 12.Fg5. Et c’est quand j’ai posé le Roi en g8 que j’ai vu 11.e5 Fc6 12.Cg5! et constaté l’horreur de ma position !

Et ensuite y’a pas grand-chose à faire, l’attaque blanche est terrible. Ce que j’aurais dû jouer en pratique, mais je n’ai pas trouvé l’idée, c’est 12…g6 au lieu de 12…h6. Après 13.Cxh7, certes 13…Rxh7? perd en ligne sur 14.Dh5+ suivi de 15.Fxg6, mais j’avais 13…c4!? qui lui compliquait la vie et qui était beaucoup moins facile pour lui que dans la partie.

Plus tard, les commentateurs ont estimé que j’aurais eu de petites chances en échangeant les Dames, ce que j’aurais pu effectivement faire par deux fois. Mais pour moi, les finales étaient techniquement perdues, donc ce n’était pas vraiment une option non plus (1-0, 45 coups).

Si près, si loin… (Photo : Fide).
Si près, si loin… (Photo : Fide).

Du coup, je suis sorti de la Coupe du Monde par la petite porte, en ratant une nouvelle fois ma qualification directe pour les Candidats au dernier obstacle. Ce soir-là, j’étais dégouté et je serais bien rentré à Paris tout de suite, mais non, il y avait encore une semaine sur place afin de disputer le match pour la 3e place contre Yu Yangyi !

Match pour la 3e place :

MVL-YU YANGYI (2763) 4-2

Du coup, j’ai essayé de penser à autre chose, j’ai fait un peu tout et n’importe quoi pendant les deux jours off qui précédaient ce dernier match. J’étais déjà en mode économie d’énergie depuis quelques temps, et ça a été encore plus le cas contre Yu. Dans la première partie, il a joué un coup nouveau dans la ligne principale de la Grünfeld avec 5.Db3.

Yu Yangyi-Mvl, Match pour la 3e place (1).
Yu Yangyi-Mvl, Match pour la 3e place (1).

Je l’attendais depuis bien longtemps, ce 15.e5 ! Ca fait en effet 6 ans que je l’ai dans mes fichiers, y compris la position de finale que nous avons obtenue après 15… Cg4 16. e6 fxe6 17. h3 Ce5 18. dxe6 Fxe6 19. Dxd8 Taxd8 20.Fxb5 Fc4 21. Fxe8 Cd3+ 22. Rf1 Fxc3 23. bxc3 Cxc1+ 24. Rg1 Ce2+ 25. Rh2 Txe8 26. The1 ! Je pense que tous les spécialistes de cette ligne connaissaient également ce coup, et savaient qu’il donnait des positions où les noirs doivent faire 2-3 coups précis pour égaliser (nulle, 36 coups).

Dans la deuxième partie, je ne m’attendais pas à ce qu’il rejoue une ligne de la Petroff qu’il avait essayée quelques semaines auparavant contre Wei Yi, mais qui me semblait un peu artificielle. Mais le fait est que je n’ai rien obtenu… (nulle, 30 coups).

Dans la troisième partie, j’ai été en difficulté sur une ligne de jeu très rare de la variante d’Echange de la Grünfeld, avec une poussée 9.d5 précoce.

J’ai pris la décision de réagir de manière très concrète en amplifiant la tension centrale par 12…f5, qui n’était clairement pas nécessaire. Il a répondu de manière très efficace !

Yu Yangyi-Mvl, Match pour la 3e place (3).
Yu Yangyi-Mvl, Match pour la 3e place (3).

… Et c’est après 21.Te2! que j’ai compris que je me retrouvais clairement moins bien. Par chance, après 21…Tfc8 22.Da5 Tc4 23.Cd5 Dd4 24.Te7 Tac8, il n’a pas joué 25.Da3!, qui me laissait dans mon pétrin après 25…Dc5 26.Dxc5 T4xc5 27.g4! et ma position tient sur un fil. Pendant la partie, il était impossible de mesurer précisément ce qui se passait, mais le fait est que je ne me sentais pas spécialement rassuré ; j’imaginais bien qu’il y avait des trucs qui pouvaient mal se passer ! Je pense qu’il a cru prendre un net avantage par 25.Td1 Tc1 26.Tee1, mais qu’il a oublié 26…Cc4 27.Db4 Txd1 28.Txd1 Db2 29.De7 Dg7! et le pire est derrière moi (nulle, 32 coups).

La fin d’un très long tournoi… (Photo : Fide).
La fin d’un très long tournoi… (Photo : Fide).

Dans la dernière partie classique, Yu a fait un nouveau choix surprenant dans la Petroff. Je pensais être un peu mieux dans une position qui me rappelait la partie Topalov-Giri, Wijk aan zee 2012, remportée par les blancs.

Topalov-Giri, Wijk aan zee 2012.
Topalov-Giri, Wijk aan zee 2012.

Il me semblait qu’à long terme, comme dans la partie de Topalov, le Roi blanc était plus en sécurité que son homologue. Bon, sur l’échiquier, j’avais oublié les pions c doublés de Giri, qui constituaient un facteur aggravant pour les noirs.

Mvl-Yu Yangyi, Match pour la 3e place (4).
Mvl-Yu Yangyi, Match pour la 3e place (4).

Du coup, dans la partie, j’ai peut-être surestimé ma position parce qu’en fait, je n’arrive pas à jouer g3 et f4 pour fixer la structure, auquel cas j’aurais pu pilonner le pion e6 et prétendre à l’avantage. Malheureusement, si à la place de 19.Td2 dans la position du diagramme, j’avais joué 19.f4, qui était d’ailleurs ma première idée, les noirs égalisaient complètement par 19…Df7! 20.g3 e5 avec une finale de Tours nulle à venir. Du coup, je n’ai trouvé aucun moyen réaliste de jouer pour le gain (nulle, 30 coups).

Dans le premier départage, Yu a renoncé à défendre une troisième Petroff ! Dans l’ensemble, j’ai bien maîtrisé cette partie, même si j’ai raté un mat rapide qui aurait abrégé ses souffrances !

Mvl-Yu Yangyi, Match pour la 3e place (tie-break 1).
Mvl-Yu Yangyi, Match pour la 3e place (tie-break 1).

Ici, j’ai opté pour la finale de pièces lourdes gagnante par 42.Txa6 Df5 43.Rg2 Dxh5 44.Txe6, mais évidemment, 42.Tc8! Txc8 43.Dxf7+ Rh8 44.Fg6 était plus efficace ! (1-0, 66 coups).

Dans le deuxième départage, il devait impérativement gagner mais il s’est complètement planté dans l’ouverture et je me suis imposé facilement.

Yu Yangyi-Mvl, Match pour la 3e place (tie-break 2).
Yu Yangyi-Mvl, Match pour la 3e place (tie-break 2).

23…Fb5+ 24.Re1 Fc3+ 0-1 illustre la puissance de la paire de Fous !

De l'autre côté de la barrière
De l’autre côté de la barrière (Photo : Fide).

Même si une médaille de bronze en Coupe du Monde reste un excellent résultat, je garde un sentiment mitigé de ce mois de septembre passé en Russie 🙂 . Cela dit, avant la Coupe du Monde, je misais déjà plutôt sur les Grand Prix FIDE. La Coupe du monde, c’était une  » tentative bonus  » de me qualifier pour les Candidats ; je considérais que j’avais 15-20% de chances.

Evidemment, c’est rageant de perdre en demi-finale et d’être une fois de plus le premier non-qualifié, mais d’un autre côté, il y a eu beaucoup de moments très chauds, et j’aurais vraiment pu sortir du tournoi plus tôt ! Dans l’ensemble, j’ai beaucoup moins bien joué sur cette Coupe du Monde qu’en 2017 où je crois que je le méritais vraiment plus.

Un mois de travail, une médaille de bronze (Photo : Fide).
Un mois de travail, une médaille de bronze (Photo : Fide).

Maintenant, il me reste les deux derniers Grand-Prix FIDE à Hambourg et Tel-Aviv ; j’estime que j’ai de bonnes chances de me qualifier, au-delà des 50%. Quant aux spéculations sur la wild-card que donneront les organisateurs russes, je préfère les laisser aux commentateurs. Ce n’est pas mon sujet pour l’instant… Le mien, c’est d’être au top le 5 novembre à Hambourg !

L’équipe de France dispute actuellement le Championnat d’Europe des Nations à Batumi (Georgie). Comme il a eu l’occasion de s’en expliquer plusieurs fois, Maxime avait décidé dès le début de l’année 2019 que le calendrier international de cette année ne lui permettrait pas d’y participer. Il est clair que ce problème de déséquilibre flagrant entre les deux semestres de l’année, l’un très aéré, et l’autre très embouteillé, devra être résolu en priorité pour la saison 2020.
Profitons de ce Championnat d’Europe en cours pour visualiser une sympathique animation vidéo qui retrace de nombreuses données chiffrées sur l’élite française depuis le début du siècle… (merci à Natacha pour la réalisation 🙂 ). L’occasion d’apprendre que Maxime vient de fêter un autre anniversaire que celui de ses 29 printemps, puisque avec 106 mois passés à la première place française, il bat le vieux record détenu jusqu’alors par Joël Lautier (105 mois entre 1990 et 2004) !

Maxime’s games:

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