Les organisateurs américains ont eu la gentillesse de m’inviter pour leur premier « Clutch Chess International », une formule par élimination directe à huit joueurs sous forme de matches en 12 parties rapides (10/5), joués sur deux journées. La nouveauté du « clutch » (embrayage en français), c’est de donner une valeur supplémentaire aux parties de fin de session ; les parties 5 et 6 valent donc deux points chacune, les parties 11 et 12 trois points chacune. Cette formule présente l’intérêt de conserver le suspense jusqu’au bout et de donner un piment supplémentaire aux affrontements, d’autant que chacune des parties clutch est dotée de bonus financiers pour le vainqueur !
En tant que tête de série n°2, derrière Magnus, j’étais opposé en ¼ de finale à Wesley So, qui venait de remporter l’édition inaugurale de la formule, le « Clutch Chess Usa ».
De manière générale, j’ai été bien dominé dans ce match, que j’ai perdu 5-13, l’écart s’expliquant par un score de 0.5/4 dans les parties clutch ! Le premier jour surtout, j’ai clairement très mal joué. On peut même dire que le résultat de deux défaites et quatre nulles était presque flatteur, avec pas mal de parties où je me suis sauvé de justesse, notamment la première et la dernière.
Le vrai tournant de cette journée a sans aucun doute été la partie 4. J’avais l’impression d’avoir bien négocié l’ouverture et obtenu un bon avantage.
Il y a eu ce moment critique où je me suis rendu compte qu’il allait avoir …Td3!, et malheureusement, je ne suis pas parvenu à trouver la solution, qui consistait à commencer par 24.Fc4! Ta4, et seulement maintenant 25.Fe2, même si il est vrai que la position reste assez peu claire. Comment l’histoire se serait-elle terminée après 25…Td3 26.Cc7 ? En tout cas, ça aurait été nettement mieux que la partie après 24.Fe2? immédiatement, qui permet 24…Td3! 25.Fxd3 (25.Cc7 Tc8! n’est plus possible) 25…exd3 26.Txa1 Fxb5 avec une finale noire nettement supérieure (0-1, 45 coups).
Tout de suite après, dans la première partie clutch, je me suis retrouvé nettement moins bien très rapidement. En fait, c’est parce que j’ai confondu deux lignes, évidemment:-) ; c’est 10…a5? qui ne va pas du tout. Après, j’ai réussi à résister grâce à un sacrifice de qualité, jusqu’à obtenir ce qui semblait être une nulle positionnelle :
Ici, le plus simple était 25…Fc4 immédiatement, suivi de 26…a4 et on ne voit pas bien comment les blancs pourraient passer. Mais j’ai fait un pas dans la mauvaise direction par 25…Fd5, et après 26.Te1, il n’était pas encore trop tard pour 26…Fc4. Mais j’ai joué le perdant 26…Fe4? car j’ai complètement oublié qu’après 27.Tea1 a4, les blancs avaient la rupture 28.c4! qui fait très mal (1-0, 44 coups).
La dernière partie de la journée, c’était du grand n’importe quoi ! Pourtant, je pensais avoir obtenu une assez bonne position dans l’ouverture. Mais j’ai mal géré la partie, avec l’envie de revenir au score le plus vite possible. Certes, ça ne s’est pas si mal fini puisque j’ai tiré la nulle, mais bon, ce n’était pas très glorieux, c’est clair.
Ensuite, le deuxième jour, ma prestation s’est quand même révélée bien meilleure. Certes, il y a eu un moment un peu moche dès la première partie…
Ici, j’ai joué 40.Txd7 Rxd7 41.Rd3 Tg6 42.Tg2, anticipant 42…Tc6 43.Tf2! suivi de 44.Rc2 et 45.Tf3, gagnant le pion c3. Mais j’ai oublié le simple 42…Tg4!, qui force la nulle après 43.Rxc3 Txe4. Du coup, au lieu d’échanger les Tours, j’aurais dû jouer 40.Td3! Tdc7 41.Rd1 avec l’idée de mettre le Roi en c2, et les blancs poussent encore.
Ensuite, dans la troisième partie du jour, j’ai engrangé ma seule victoire du match. En fait, je voulais absolument gagner pour que la partie suivante compte pour du beurre, que je puisse la jouer en free style, et que tout se décide dans le mini-match de clutch à 3 points la partie 🙂 . J’ai une nouvelle fois mal négocié l’ouverture, mais il m’a permis de retourner la position, et je crois qu’à partir de là, j’ai très bien joué.
Malgré tout, la finale de Tours est nulle, même si c’est toujours difficile à défendre sur l’incrément. Ici, après avoir déjà raté un chemin plus simple vers la nulle, les noirs n’avaient plus le choix et devaient trouver 53…Rxd5 54.Txg7 Rd6!, et après 55.Rg6 Te6+ 56.Rh5 Tf6 comme après 55.Tg6+ Re7 56.Txh6 Ta2, les blancs ont épuisé leurs ressources. Dans la partie, les noirs ont joué le plus naturel 53…Te7?, mais même si ça paraît bizarre à première vue, ce coup perd en ligne après 54.Rg6 Rxd5 55.Td1+ Rc4 56.f5 Ta7 57.f4 Rc5 58.Td8 h5 59.Rxh5 Tf7 60.Rg6 Tf6+ 61.Rg5 Tf7 62.f6! 1-0.
La quatrième, qui était donc sans incidence sur le match, je l’ai jouée à toute vitesse avec les noirs et j’ai obtenu la position suivante :
Avec plus de temps que je n’en avais au début de la partie 🙂 , j’ai blitzé 28…Txe4?, oubliant qu’après 29.Tc8+ Ff8, les blancs avaient le salvateur 30.Tb8!. Le « mat imparable » après 30…Tea4? ne marchant plus à cause de 31.Txb3, j’ai dû me résoudre au perpétuel dans la ligne forcée 30…a4 31. Fxd2 Te2 32.Fh6 Taxb2+.
Pourtant, à la place de 28…Txe4?, j’avais le simple 28…Fxc3 29.Txc3 a4 qui devait gagner après 30.Txd2 (30.f3 Td8) 30…Txe4 31.Tc1 a3 32.Tcd1 Ta4 33.bxa3 T4xa3.
La partie décisive, ce fut donc le premier clutch à 3 points…
J’avais sorti 1.e4 pour cette grande occasion 🙂 , et l’ouverture s’est bien passée.
Ici, je voulais jouer 19.g3! évidemment, puisque si 19…Cxh3+ 20.Rg2 Cg5 21.Cxg5 hxg5 22.Th1 et le Roi noir ne devrait pas survivre. Mais je me suis aperçu qu’il y avait 19…Td8 intermédiaire, et j’ai donc renoncé. Pourtant après 20.Db1!, les blancs conservaient un très net avantage, sur 20…Ce6 21.Ch2! comme sur 20…Cxh3+ 21.Rg2 Cg5 22.Cxg5 hxg5 23.Th1 suivi de 24.Th5.
Après cette occasion ratée, j’ai commis quelques imprécisions supplémentaires, et je dois dire que Wesley s’est montré assez convaincant dans la réalisation de l’avantage. Si l’on excepte toutefois l’épisode final où il laisse un pion en prise sur gaffe, avant de réaliser qu’il a quand même une combinaison gagnante au coup suivant !
Les noirs sont sur le point de concrétiser et de s’assurer le gain du match, et je dois dire que j’avais le doigt sur le bouton « Abandon » depuis un petit moment déjà 🙂 . Et là, alors que n’importe quel coup gagnait, à commencer par 51…c2, il a lâché 51…b2(??), oubliant 52.Txb2. Heureusement pour lui, il a conservé suffisamment de sang-froid pour réaliser que la position restait gagnante après l’unique – mais très esthétique – 52…Ta1! 53.Tbc2 (53.Txa1 cxb2 et le pion va coûter la Tour) 53…Txc1 54.Txc1 Fxf2 (0-1, 59 coups).
Et dans l’ultime partie du match, je n’ai pas su m’y remettre et j’ai perdu en 15 coups sans jouer…
J’en profite pour féliciter le vainqueur du tournoi, Magnus Carlsen, qui s’est imposé au terme d’une finale particulièrement intense et spectaculaire contre Fabiano Caruana !
Au final, je dois dire que j’aime plutôt bien cette idée de placer des parties qui « valent » plus cher, mais je pense qu’il y a une erreur de calcul à rectifier. En fait, on ne doit pas avoir comme tie-break les victoires en clutch, parce que c’est beaucoup trop en fait ; ces parties donnent déjà suffisamment de points de bonus. Et surtout, ça génère des situations où, comme dans ma partie 4 du deuxième jour, le résultat n’a plus d’importance. Ce qui donne une partie absolument sans enjeu sportif, ce qui n’est pas normal. Donc, je préconise qu’à minima, les parties clutch ne constituent plus le premier tie-break à l’avenir.
Seul premier de l’Open avec 9/10, j’ai ensuite battu l’Ouzbek Abdusattorov en ¼, le Vietnamien Tuan Minh Le en ½, et Firouzja en finale.
Prochaine compétition à partir du 20 juin, avec la troisième étape du « Carlsen Tour », le Chessable Masters…
Les parties de Maxime au Clutch Chess :
Les parties de Maxime :
« MES MEILLEURES PARTIES » CHEZ THINKERS PUBLISHING !
Thinkers Publishing édite des livres d’échecs de grande qualité depuis maintenant plusieurs années. La société est dirigée par mon collègue et ami français GMI Romain Edouard et l’expert belge Daniël Vanheirzeele. La pandémie qui a frappé au début de l’année 2020 a progressivement arrêté tous les tournois dans le monde. Bien qu’ayant encore des engagements dans des compétitions online en perspective, j’ai senti que c’était le bon moment pour faire quelque chose que j’ai en tête depuis un moment, mais que je n’avais jamais trouvé le temps de mettre en œuvre ; écrire un livre sur les parties les plus intéressantes et les plus importantes de ma carrière jusqu’à présent. Dès lors, quoi de plus naturel que de lancer le projet avec Thinkers Publishing ? Promis, je m’y mets dès maintenant, et le livre devrait sortir à l’automne 2020 !
Avec l’installation de la pandémie dans la durée, le monde des échecs a basculé en ligne. Les tournois foisonnent et l’activité est de plus en plus intense, pour les joueurs de haut niveau comme pour tous les amateurs à travers le monde. Ces dernières semaines, j’ai eu l’occasion de disputer deux compétitions en ligne d’affilée, le Magnus Carlsen Invitational et la Nations Cup.
CARLSEN INVITATIONAL
A l’initiative du champion du monde et de sa plateforme www.chess24.com, huit joueurs se sont retrouvés pour une phase de poule qualifiant les 4 premiers pour les matches à élimination directe.
Je pense que le système peut être un peu amélioré dans le sens où, par exemple à la dernière ronde, il y avait beaucoup de matches avec absolument zéro enjeu. C’est le seul bémol, avec le fait que le tournoi s’étalait sur un peu trop de jours (16).
Les prochains tournois viennent d’être annoncés, dans le cadre d’un grand « Carlsen Chess Tour » en ligne, qui prend le relais du Grand Chess Tour 2020 avorté. La formule sera améliorée, avec notamment une phase de poules bien plus courte.
Concernant la cadence de jeu, elle me semble plutôt adaptée, même si pour moi, 15’+10’’, ça reste assez long 🙂 .
Quatre parties de suite, c’est assez dur, mine de rien, mais c’est tout de même un effort qui est gérable pour les joueurs. De plus, le résultat sur quatre parties est évidemment plus significatif quand il s’agit de déterminer qui était le meilleur joueur de la journée. Donc, là-dessus, je n’ai rien à redire.
Et puis, je suis sûr que le spectacle est plutôt agréable aussi pour le public, qui a pu suivre deux parties en même temps.
D’ailleurs, je peux comprendre cette idée de retransmettre deux matches à la fois, et pas quatre, même si ça rallonge le tournoi. Quatre à la fois, ce serait toujours plus compliqué à gérer au niveau technique, surtout s’il y a des Armageddon, auquel cas ça pourrait vite devenir très problématique.
Dans l’ensemble, c’est plutôt sympa de voir apparaître cette offre de jeu en ligne ; c’est une nouvelle expérience. Certes, il n’est pas si facile de se régler, mais ça a été un peu le cas pour (presque 🙂 ) tous les joueurs. Pour moi, il n’est pas simple de rester bien concentré, car le contact physique avec les pièces manque un peu. Et puis il y a aussi le fait que l’on est trop habitués à jouer sur Internet en une ou trois minutes. Du coup, 15+10, ça peut paraître une éternité ! J’ai essayé de gérer tous ces paramètres du mieux que je pouvais…
Pour moi, il y avait aussi l’appréhension de « nouvelles ouvertures », 1.d4 avec les blancs, la Slave et la Caro-Kann avec les noirs, qui me demandait pas mal d’énergie. Ca a occasionné quelques fautes à certains moments, par manque d’expérience de ces positions.
Le tournant de mon tournoi s’est produit dès le deuxième match, contre Nepo, où j’ai perdu l’imperdable, ça c’est clair 🙂 (2-2, défaite à l’Armageddon). Ensuite, il y a eu l’enchaînement très compliqué Ding (2-2, défaite à l’Armageddon) puis Carlsen, qui a été plus fort que moi sur ce match (1.5-2.5).
C’est vrai aussi que si on rajoute le troisième Armageddon perdu contre Nakamura, ces trois défaites pèsent lourd ; au final, c’est une dernière place au lieu d’un classement en milieu de tableau… Mais l’Armageddon, c’est un format assez spécial pour lequel je n’ai jamais fait d’entraînement spécifique. Du coup, je n’ai pas forcément le bon calibrage dans le rythme, entre précipitation et perte de temps. Et puis, mon style en blitz n’est pas non plus très adapté à l’Armageddon ; avec les Noirs, je n’ai pas l’habitude de jouer pour la nulle avec une minute en moins, et avec les Blancs, j’essaye vraiment de mettre la pression au temps, même si parfois, je dois passer par des positions un peu limite.
Certes, l’Armageddon n’arrive pas si souvent, mais c’est vrai que c’est un peu inquiétant d’avoir une lacune comme celle-là 🙂 . Pourtant, je ne ne pense pas que ce soit un écroulement mental ou quelque chose de la sorte, mais bon, je me trompe peut être… Il est dur d’avoir les réponses sur un exercice auquel je ne suis pas habitué. Mais c’est peut être ça la réponse ; je ne suis pas habitué !
Jetons maintenant un œil à quelques-unes de mes prestations dans ce tournoi :
MVL-NEPOMNIACHTCHI (partie 4)
Après une très mauvaise partie avec les blancs alors qu’une nulle me suffisait, j’ai réussi tant bien que mal à sauver les meubles et à atteindre la position suivante :
La position est loin d’être simple à défendre, même si elle est objectivement nulle. Malheureusement pour moi, il aurait fallu que j’évite 68.Cd3? f4! (mais pas 68…h3? 69.Ce5+! Rh4 70.Cf3+ et nulle) 69.Ce5+ Rf5 70.Cd3 Fe4, brisant la coordination défensive de mon Cavalier et de mon Roi (0-1, 75 coups).
A la place, je pouvais jouer 68.Cd7!, et la menace de fourchette en f6 empêche les noirs de pousser …f4 comme dans la partie. Et après 68…Rf4 69.Cc5! (seul coup) 69…h3 (69…Fc4 70.Cd7 h3 71.Cc5! et les noirs ne progressent pas non plus) 70.Cd3+ Re4 71.Ce1 ou 70…Rg4 71.Ce5+!, le duo Roi-Cavalier est coordonné pour le blocus ! Autant dire que ce genre de subtilités est impossible à comprendre quand on joue sur l’incrément 🙂 .
Dans les deux matches suivants, j’ai connu les affres du « mouse slip » : ce sont les dangers bien connus du jeu en ligne !
DING-MVL (Armageddon)
Ici, je m’attendais tellement à 4.e3, comme dans la première partie de notre match, que j’ai fait mécaniquement le premove4…Ff5?!. Mais sur 4.Cc3, …Ff5?! est considéré comme inférieur à cause de 5.cxd5 Cxd5 (5…cxd5 6.Db3 perd quasiment un pion) 6.Db3. Je n’ai jamais pu m’en remettre, et j’ai perdu cette partie sans vraiment lutter (1-0, 16 coups).
Deuxième accident de souris…
MVL-CARLSEN (partie 2)
Ici, ma première intention était de jouer 16.0-0-0, et j’ai donc cliqué sur le Roi en e1. Puis j’ai vu la variante 16…c5 17.Fg5 Te8 18.Cd5 Cxd5, et 19.exd5 est impossible à cause du Fe2 en prise. Du coup, j’ai décidé de jouer 16.Td1 pour rendre possible cette variante… Mais sans décliquer le Roi e1 🙂 ; alors, ma Tour est bien passée en d1, mais j’ai vu à ma grande surprise mon Roi migrer vers c1 contre mon gré ! (nulle, 61 coups).
CARLSEN-MVL (partie 3)
Ici, j’ai rapidement joué 19…Dd7?, qui est une grosse faute basée sur un oubli tactique. Après 20.Dc2 Ca7, je croyais qu’il voulait 21.De4, mais j’avais complètement zappé la possibilité 21.Dxc8+! Cxc8 (21…Dxc8 22.Txc8+ Cxc8 n’offre pas non plus d’espoir) 22.Fc6, et je n’ai pas assez de jeu pour la qualité (1-0, 32 coups).
J’aurais donc dû jouer le seul coup 19…Db6, même si les blancs restaient quand même mieux après 20.exd4! (mais plus 20.Dc2 0-0! car la pièce n’est pas prenable : 21.Fxc6? dxe3 22.Fe1 Tc7! suivi de 23…Tfc8).
CARUANA-MVL (partie 3)
Une finale de Dames instructive, avec les pions sur la même aile, que l’on a souvent tendance à cataloguer comme nulle sans regarder les nuances de la position. Ici, si on reculait le pion f5 en f7, ce serait en effet une nulle facile. Telle quelle, je ne sais pas si la position est objectivement gagnante ou nulle, mais intuitivement, j’aurais plutôt tendance à dire que c’est gagnant.
En effet, avec le pion en f5, le Roi noir reste faible. C’est très dur d’éviter les échanges de Dames. Et quand les blancs joueront g4, on ne pourra guère éviter de prendre deux fois, après quoi le pion e des blancs sera passé.
Mais en pratique dans ce genre de finales, il est presque impossible de jouer sans fautes, surtout en cadence rapide. Et encore une fois, c’est toujours plus dur à défendre car les blancs peuvent tourner la position dans tous les sens – ce que Fabiano n’a pas hésité à faire ! –
Nous avions déjà joué près de 45 coups dans cette finale de Dames, et j’ai finalement perdu après le naturel 88…Rg7? 89.Dc7+! Rh6 90.e7 Dd4+ 91.Re2 De4+ 92.Rd2 Dd4+ 93.Rc2, pour la simple raison qu’il n’y a pas de perpétuel, le Roi blanc se faufilant à travers toute l’aile-Dame. (1-0, 103 coups).
Pour annuler, il aurait fallu que je trouve 88…g5! 89.Df8+ (89.e7+ Rg7 90.fxg5 est une version qui laisse le perpétuel aux noirs d’après les tablebases…) 89…Rh7 90.e7 Dd4+ et perpétuel ; placez la Dame blanche en c7 dans cette position – comme dans la suite de la partie – et il n’y aurait plus de perpétuel !
Les échecs sont un jeu compliqué 🙂 .
Les parties de Maxime:
NATIONS CUP
Quelques jours plus tard, je tenais le 1er échiquier de la Team Europe dans cette compétition qui réunissait 6 équipes et qui a vu la victoire finale des favoris chinois.
Pour moi, il y a eu du mieux dans cette Nations Cup, mais aussi du moins bien. Certes, le résultat final est plutôt satisfaisant (+1, =9). Mais il y a eu beaucoup d’occasions manquées, contre Radjabov par exemple :
RADJABOV-MVL (ronde 5)
La position noire est gagnante, mais il y a énormément de calculs à effectuer, et trois vrais coups-candidats, 27…Tgd8, 27…Fxe5 et 27…Txf7. Je crois qu’en fait, c’était 27…Fxe5 le plus simple en pratique : j’ai calculé 28.Fxg8 Cxh7 29.Fxe6 Cf6 30.Fxd7+ Rc7 31.Txf6 Fxf6 et je me suis dit que ce n’était pas le plus clair – avec toujours le problème du Fou en b7 – et que 27…Tgd8 était certainement plus propre. A ce stade, j’avais déjà recalé la troisième possibilité 27…Txf7, à cause de 28.Tfxf7 Fxe5 29.Txb7 ; j’aurais pourtant dû pousser plus loin, parce qu’après 29…Cxh7! 30.Dxg8+ (30.Txb6 Txg4) 30…Rxb7 31.Dxh7+ Fc7 ou même 31…Ra6, les blancs ne vont pas survivre.
Bref, j’ai rejeté la suite simple, puis la suite efficace, et j’ai finalement fait le moins bon choix, 27…Tgd8 🙂 . Après cette faute, la partie est devenue extrêmement confuse et s’est soldée par un échec perpétuel (nulle, 36 coups).
Deuxième occasion ratée contre Nakamura :
NAKAMURA-MVL (ronde 9)
C’est aussi une partie faible dans l’ensemble, qui a surtout été remarquée pour le gain facile que je rate, 32…h3!. Oui, c’est facile, mais cet aveuglement s’explique aussi par le fait que depuis huit coups, je calcule les conséquences de …hxg3 à chaque coup ; dès lors, la prise en g3 est comme « ancrée » en moi, et m’empêche d’une certaine façon d’envisager …h3 (nulle, 36 coups).
Voici ma seule victoire du tournoi, après une bonne ouverture et un bon milieu de jeu :
NEPOMNIACHTCHI-MVL (ronde 6)
Seule la réalisation de l’avantage n’a pas été fluide, mais il y a quand même une explication. En pratique, la conversion de ce type de position gagnante est plus difficile que la défense. A cause du réseau de mat avec le Roi noir qui est en b8, il est très facile de se planter.
Ensuite, quand la position devient objectivement nulle, là c’est le contraire !
La position est très facile à jouer pour moi. Je peux faire des erreurs, mais lui doit faire gaffe à chaque fourchette, à chaque échec, à chaque pion et c’est un cauchemar à défendre… (0-1, 111 coups).
C’est donc surtout pour des raisons d’ordre pratique que des erreurs ont été commises par les deux camps.
On notera aussi au passage une partie bien grotesque de la part des deux joueurs…
DING-MVL (ronde 7)
Ici, j’ai dépensé plus de six minutes sur 14…De7?.
14…Ce4, c’était le coup normal, c’est ce que je voulais jouer à l’origine, mais je n’avais pas trop envie de défendre la finale avec un pion de moins après 15.Cxe4 dxe4 (15…Fxb2 16.Dxb2 dxe4 17.Fe2 me plaisait encore moins) 16.Dxd8 Tfxd8 17.Fxe5 exf3 18.gxf3. Du coup, j’ai préféré 14…De7 mais j’ai complètement oublié qu’après 15.Cxd5 Cxd5, les blancs ne jouaient pas 16.Fxd5? Tfd8 17.Tad1 Fe4, mais plutôt 16.Fxe5! avec un vrai pion de plus.
Ensuite, Ding n’a pas été précis et m’a laissé trop de jeu, jusqu’à ce que j’aie un perpétuel forcé par 31…Cf3+! 32.gxf3 De2+ 33.Rg3 De1+ 34.Rg4 Dg1+ 35.Rf4 Dh2+ 36.Re4 Dc2+ puisque si 37.Rd5?? Dc6 mat !
Mais j’ai joué 31…De1?! instantanément parce que c’était le coup que j’avais prévu… Après 32.Dd5+ Rh7 33.Fd4, j’ai réussi à ne pas jouer l’évident 33…b6 – qui conservait à peu près l’équilibre dynamique – pour préférer le stupide 33…h5?, qui donne la partie après 34.Fxa7 h4 35.Fb8!. Heureusement, Ding était dans la même forme que moi ce jour-là, et il m’a finalement laissé le demi-point ! (nulle, 42 coups).
Mais il y a une partie où la chance n’a pas été de mon côté…
MVL-ANAND (ronde 8)
En fait, ici le coup normal était 38.g5! fxg5 39.fxg5 et les noirs continuent à souffrir. A la place, j’ai joué 38.Ch6, qui est objectivement moins bon, mais avec l’idée originale d’enfermer la tour noire en h6 🙂 . D’ailleurs, Vishy a craint lui aussi cette variante puisqu’il n’a pas joué 38…Tg6 39.f5!? Txh6 40.h5. Pendant la partie, nous avons tous deux estimé que cette drôle de position était favorable aux blancs, tandis que la machine semble préférer les noirs. La réalité est sans doute que cette finale est nulle !
Même si la Tour est inutile en h6, les blancs ne pourront pas valoriser leur qualité de plus sur les colonnes a-e si les noirs jouent activement 40…c5, au lieu d’attendre que les blancs n’ouvrent eux-mêmes par d5! dans des circonstances favorables ; par exemple 40…c5 41.dxc5 Fxc5 42.Rc4 Rc6 43.Te8 b5+ 44.Rd3 Fd6 et à cause notamment de la faiblesse de b2, ce sont les blancs qui doivent faire attention, lorsque le Fou noir arrivera en e5, à ne pas jouer Rc2 et permettre le passage Rc6-d5-e4-f4-xg4 qui libérerait la Tour de sa prison !
Dans la partie, Vishy a donc évité tout ça par 38…Tg7, sur quoi j’ai joué 39.g5, qui mène à une nulle après la défense très précise 39…fxg5 40.fxg5 f6!.
Dommage, c’est le coup du « too much brillancy » avec 38.Ch6 🙂 .
De manière générale dans les deux tournois je n’ai pas posé assez de problèmes avec les Blancs, même si j’ai plusieurs fois eu de bonnes positions, gâchées en 2-3 coups. C’est aussi ça, l’effet 1.d4 !
Un dernier mot sur les cadences du jeu en ligne ; 15 + 10, comme pour le Magnus Invitational, c’est la bonne cadence, même si l’idéal selon moi serait 15 +5 🙂 .
En revanche, la cadence 25 +10 utilisée à la Nations Cup ne va pas. Je pense que c’est beaucoup trop long pour des parties en ligne.
Même sur l’échiquier, c’est déjà une cadence qui est bâtarde, soit trop longue, soit trop courte. C’est à dire que c’est trop court pour que tu puisses avoir des idées vraiment profondes, mais c’est trop long pour que tu puisses poser des problèmes et tendre des pièges comme tu peux le faire en cadence vraiment rapide.
Les parties de Maxime :
Antonio Radic est un joueur d’échecs croate. Amateur éloigné de la compétition depuis ses jeunes années, il a la particularité d’être le Youtubeur le plus suivi du monde échiquéen ! Avec plus de 630.000 abonnés, Agadmator (c’est son nom de scène 🙂 ) entraîne une communauté deux fois plus importante que celle de Magnus Carlsen par exemple. Prolifique auteur de vidéos pédagogiques, Agadmator vient de décider de lancer des podcasts réguliers avec des personnalités du monde des échecs. Son premier invité était MVL, avec lequel il s’est entretenu pendant plus de deux heures ! C’est à revoir ici : https://www.youtube.com/watch?v=mZ_EWAwZYmw Enfin, la séance s’est terminée par un blitz, commenté par l’intéressé : https://www.youtube.com/watch?v=88N3UNeNoWM
Comme une grande partie de la population mondiale, je me suis retrouvé confiné chez moi en raison du coronavirus, directement après la fin prématurée du tournoi des Candidats. Seule compétition sportive de niveau mondial à résister à l’épidémie, le tournoi des Candidats a d’ailleurs fait l’objet d’un reportage de deux pages dans le quotidien sportif L’Equipe de consacrer (au contenu bien documenté puisque rédigé par mon manager, Laurent Vérat 🙂 ).
A l’instar des autres événements sportifs, les grands tournois d’échecs sont peu à peu annulés ou reportés (Grenke, Grand Chess Tour, Norway Chess, Olympiades…). Cette situation bouleversée contraint à de nouvelles pratiques.
L’un des avantages du jeu d’échecs est qu’on peut s’y adonner à distance. Au siècle dernier, des parties furent ainsi jouée par courrier, téléphone, fax… et même pigeon voyageur ! Et désormais, grâce à internet, on peut aussi jouer en direct.
Mon début de confinement a donc été l’occasion pour moi de participer à plusieurs événements en ligne, notamment une simultanée, une exhibition pour récolter des fonds et le tournoi organisé par le Champion du Monde Magnus Carlsen sur chess24.
Simultanée
L’emploi du temps d’un joueur de haut niveau laisse peu de place aux rencontres avec les passionnés. Afin d’apporter un peu de distraction à tout le monde, j’ai organisé une simultanée sur Lichess le 10 avril.
Plus de 470 personnes ont tenté de gagner une des 20 places. Je remercie tous les participants, et navré pour celles et ceux qui n’ont pas été retenus 🙂 . Outre ces 20 joueurs, j’avais invité 6 personnes, dont Ivan Ljubicic ; le joueur de tennis croate, après une brillante carrière qui culmina avec une place de n°3 mondial en 2006, est désormais le coach de mon idole, Roger Federer.
C’est également un excellent joueur d’échecs, qui joue depuis longtemps comme le relate l’article de L’Equipe publié le 19 avril. Il l’a d’ailleurs démontré dans la simultanée, en obtenu la nulle après m’avoir poussé dans les cordes. La simultanée s’est soldée par un résultat final de 22 victoires, 3 nulles et une défaite. J’ai fini épuisé, mais ravi par cette expérience 🙂 .
Les parties de Maxime :
Blitzstream Cup
Kévin Bordi a également mis à profit cette période pour organiser les 11-12 avril un mini-tournoi caritatif au profit de Médecins sans Frontières. La 1re demi-finale a vu Etienne Bacrot battre Matthieu Cornette. Je jouais dans l’autre demi-finale, contre Kévin Bordi dans le 1er set, et Fabien Libiszewki dans le 2e. En finale le lendemain face à Etienne, ce dernier a obtenu de bonnes positions mais la gestion du temps lui fut fatale ; « too weak, too slow » 🙂 .
La plus belle réussite de ce week-end restera toutefois d’avoir recueilli la rondelette somme de 11.250 €, plus du double de l’objectif initial !
En ce moment, je participe au tournoi organisé par Magnus sur chess24.com. Avec un plateau très relevé (les 5 premiers mondiaux ainsi que Giri, Nakamura et l’étoile montante Firouzja), et un format original (des poules et un play-off), la compétition s’annonce passionnante !
Dans la foulée du Magnus Invitational, la Fédération Internationale des Échecs et Chess.com organiseront la Coupe des Nations en ligne, une compétition par équipes qui se déroulera du 5 au 10 mai 2020. Six équipes participeront à ce tournoi qui, d’une certaine manière, remplacera les Olympiades reportées de cet été : La Russie, les Etats-Unis, l’Europe, la Chine, l’Inde, et une sélection représentant le reste du monde. Je serai le 1er échiquier de l’équipe d’Europe, dans une compétition qui réunira la plupart des meilleurs joueurs du monde
Quand je suis rentré de quelques jours de vacances aux Usa début mars, le monde tournait encore à peu près normalement. L’aéroport Charles de Gaulle que je venais de quitter connaissait une affluence habituelle. Certes, on savait qu’il y avait un risque non négligeable de propagation de la pandémie de coronavirus, mais rien à voir avec l’ampleur que ça a pris depuis. Je n’étais pas encore arrivé dans mon appartement qu’un message privé Facebook de la FIDE m’annonçait qu’une place allait peut-être se libérer pour le Tournoi des Candidats et que si c’était le cas, serais-je prêt à participer ? Il fallait que je me décide très vite, la confirmation devant intervenir un ou deux jours plus tard.
Evidemment, je n’ai pas hésité longtemps et j’ai dit oui. Tout de suite, il y a eu toute une organisation à mettre en place. J’ai appelé mon manager Laurent Vérat ; comment arriver sur place avec le temps limité ? Comment gérer le visa à récupérer, avec les restrictions qui commençaient déjà à être mises en place par la Russie concernant les visiteurs étrangers ? Et j’ai appelé mon entraîneur Etienne Bacrot, pour voir avec lui comment monter en si peu de temps une équipe opérationnelle, les ordinateurs qu’il faut etc… Après, ça a été une course contre la montre pour se préparer, pour aller chercher le visa au Consulat russe à Marseille, et ensuite pour arriver bien en avance à Ekaterinburg, histoire d’anticiper les problèmes de dernière minute. Du coup, je suis passé par Istanbul pour éviter Moscou, avec une petite escale de 9 heures quand même, mais qui s’est plutôt bien passée ! Je suis finalement arrivé à 7 heures du matin – heure locale – à l’aéroport d’Ekaterinbourg, où j’ai été accueilli par l’organisation, sans mise en quarantaine 🙂 .
Une fois à l’Hyatt Regency, je n’en suis quasiment plus sorti pendant deux semaines. C’est à la fois lié à la qualité du plateau puisque clairement, pendant un tournoi d’échecs de ce niveau, on sort assez peu, mais aussi pour éviter d’être bêtement contaminé. Par exemple, je ne suis pas allé faire de jogging dehors ou des trucs comme ça. Ça aurait été stupide, d’autant qu’il y avait une salle de sport dans l’hôtel. Parmi mes rares sorties, je suis allé deux fois manger dehors avec M. Coffinier, Consul Général de France à Ekaterinburg. Sinon, j’ai alterné entre le restaurant de l’hôtel et le room service.
L’aspect négatif de cette précipitation forcée, c’est qu’avec aussi peu de temps, je n’ai pu avoir personne qui m’accompagne sur place. Pas de secondant, j’étais donc tout seul pour la durée du tournoi. Cela dit, j’ai l’habitude et je peux évidemment échanger à distance avec mes secondants.
Au niveau échecs, il y avait pas mal de travail complémentaire à faire, mais sur place, c’était la routine habituelle ; bien réviser les fichiers d’ouverture et arriver à la partie le mieux armé possible. Ce qui était bien pour moi, c’est que les parties débutaient à 16 heures. Ça m’a permis d’aller souvent à la salle de sport le midi, et de m’entretenir quand même physiquement. Et puis, je bénéficiais malgré tout de quelques moments de détente, même si ça manquait cruellement de sport à la télé 🙂 . Finalement, c’est surtout Netflix qui tournait, en dehors des préparations bien sûr.
Finalement, le tournoi a donc commencé tant bien que mal le 17 mars.
Ronde 1 : Mvl – Caruana (2842) 1/2
Même si on se doutait qu’il y aurait du changement, on ne savait pas trop à quoi s’attendre en termes d’ouverture. L’Arkhangelsk faisait partie des possibilités qu’on avait envisagées. Mais Fabiano était vraiment très bien préparé sur cette partie-là et c’est moi qui me suis retrouvé un poil en difficulté avec les blancs. Après, j’ai plutôt bien réagi, et malgré sans doute une ou deux imprécisions de part et d’autre, le résultat nul est logique.
Une partie avec quand même pas mal de contenu, pas mal de choses à calculer. Un bon échauffement pour rentrer dans le tournoi.
Ronde 2 : Mvl – Ding Liren (2805) 1-0
L’enchaînement de deux parties blanches de suite pour débuter le tournoi était évidemment critique. Ce sera d’ailleurs pareil quand le tournoi reprendra, j’aurai deux parties noires successives qui seront cruciales également. Autant là, sur les 2 Blancs, c’est clair que 1.5/2 était le score que je visais, autant sur les 2 Noirs, ce sera plutôt 1 sur 2 a priori 🙂 . Mais bon, on verra aussi les circonstances du tournoi. Ça, on ne peut pas le prévoir pour l’instant.
En tout cas, il était clair pour moi que je devais mettre la pression contre Ding. Et pour le coup, l’ouverture, s’est très, très bien passée.
Nous avions regardé cette idée 12.Fd2 avant le tournoi. Elle donne des positions pas très faciles à jouer pour les noirs, notamment dans la ligne choisie avec …Cd8, et ce Cavalier qui reste mal placé pour la suite. Du coup, je remporte plus ou moins la partie dans l’ouverture, notamment après 18.c4! qui gagne un pion.
Si 18….Ff6 19.cxb5 Df7, alors 20.Fg5! est très fort. Je soupçonne Ding d’avoir raté ça quand il a joué 15…f5?. Ensuite, la conversion technique était facilitée par le fait que le Fa8 et le Cd8 restaient complètement hors-jeu. Il fallait juste quelques coups précis, notamment 20.Ch2!.
Il est vrai que ce début de tournoi était plutôt encourageant en termes de contenu, avec notamment le fait que j’ai pu poser des problèmes à Ding dans l’ouverture, malgré une préparation écourtée.
Ronde 3 : Giri (2763) – Mvl 1/2
Giri est vraiment pointu sur les préparations, j’ai été un petit peu en difficulté dans l’ouverture. Il a sorti une bonne idée et la position était un poil difficile à jouer pour moi. Après, je trouve que je m’en suis bien sorti, même s’il avait peut-être des options un peu plus tranchantes à un moment, mais qui n’étaient pas forcément faciles à trouver. Je pense à 17.Fb5, pour provoquer …a6, qui a été mentionné par les commentateurs ; ça, par exemple, je n’y avais pas pensé.
Du coup, j’étais plutôt content de ma transposition en finale. Je savais que j’étais un peu moins bien, mais avec le pion en d4 et la possibilité d’activer mon Cavalier, je sentais que je n’allais pas la perdre. Même si Anish n’a pas forcément été très précis au début de la finale.
Ronde 4 : Mvl – Grischuk (2777) 1/2
Franchement, je n’ai rien compris à sa gestion du temps ! Pourquoi 52 minutes sur 18…Ce7, dans une position que nous connaissions forcément tous les deux ? En revanche, dans les complications, il a très bien réagi. Il a appréhendé avec classe toutes les difficultés, et notamment trouvé tous les seuls coups, 21…Ca4 puis 22…Fd5, 24…Tg6 et 25…Fc4 ; une succession de décisions vraiment pas faciles…
Et puis après, au moment où la situation est devenue vraiment ultra tactique après 29.a4,
il a commis l’erreur 29…Cxa4?. J’avais anticipé la prise et vu pas mal d’options mais ce qui s’est passé, c’est que j’ai évidemment regardé l’enfilade avec 30.Te4 ou 30.Tf4, mais j’étais plutôt parti sur 30.Tf4, après quoi il n’y a pas les idées gagnantes avec 30.Te4! b5 31.Txc4! suivi de 32.Txf7+.
Donc, quand j’ai joué 29.a4, pour moi le seul coup des noirs, c’était de prendre en a4 et du coup, j’avais anticipé la ligne de la partie avec 30.Fa3+? ; je me rappelle que j’ai réfléchi 2’30’’ pour savoir si j’allais jouer 30.Fa3+ direct, ou d’abord 30.e6. Bref, j’ai un petit regret d’avoir raté 30.Te4!.
Aussi, je dois dire que j’ai sous-estimé son option avec 35…a5! à la fin de la séquence.
La finale à quatre tours est clairement supérieure s’il n’a pas 35..a5!. Après, 36.Td4+, c’était le coup naturel. Mais je trouvais que ça annulait vraiment facilement pour les Noirs. Alors que sur 36.Td1+ Rxe6 37.Te4+ Rf7 38.Td7+ Rf6 39.Td5 Rf7 40.Tf5+ Rg8 41.Te7, je pensais avoir encore quelques petites chances de gain ; ce qui n’est pas le cas, simplement 41…Rh7! doit annuler.
Et puis, sur 36…Re7 37.Te4, comme il a joué dans la partie, je pensais avoir vraiment des chances de gain. Mais là, il a trouvé toutes les bonnes suites, malgré son grand zeitnot. Les coups ne sont pas faciles, il doit donner des pions, il doit laisser des cases…
Par exemple, comprendre qu’il doit jouer 35…a5, c’est fort. Certes, il est naturel de pousser le pion passé, mais d’un autre côté, ça laisse tellement de cases pour les Blancs qu’on pourrait imaginer qu’il faille d’abord mettre une Tour en jeu. Peut-être que d’autres coups font nulle aussi, mais 35…a5, c’est beaucoup plus clinique. Bref, il a été très impressionnant en défense.
Un avertissement sans frais que dans un tournoi comme les Candidats, les occasions qu’on a, il ne faut pas les laisser passer trop souvent !
Ronde 5 : Alekseenko (2698) – Mvl 1/2
Après avoir doublé les blancs au début, je doublais maintenant les noirs contre Alekseenko puis Wang Hao. C’est vrai que j’aurais bien aimé pouvoir en gagner une des deux… Alekseenko ne s’est pas du tout dégonflé, et il est rentré dans les complications d’une ligne de la Najdorf que m’avait jouée Carlsen en décembre dernier. Certes, il a fait une erreur incroyable dans sa préparation puisque il a réfléchi 50 minutes après 16…g6 (au lieu de 16…Ff8? contre Carlsen) :
17.Txg6 Txc3. Donc moi, je ne comprenais pas ce qui se passait puisque c’était impensable qu’il n’ait pas regardé 17.Txg6 Txc3 à la maison. En fait, comme il l’a expliqué par la suite, il savait juste que 16…g6 était « impossible » à cause de 17.Txg6 ! Alors, à sa décharge, ce sont des choses qui peuvent arriver. Peut-être qu’au tout début, l’ordi n’aime pas du tout 16…g6, et que du coup, il s’est concentré sur 16…Th7 ou 16…Rf8.
De mon côté, je devais juste me souvenir à peu près des lignes, et voir ensuite sur l’échiquier si une opportunité apparaissait en cas de déviation de sa part… Cela dit, je n’avais pas trop de raisons d’être si optimiste que ça, parce qu’il y a beaucoup de possibilités qui font nulle. Par exemple 18.Dxc3 Ca4 19.Db3 fxg6 20.Cxe6 et nulle par perpétuel. La ligne qu’il a choisie, en fait, c’est celle qui pose le plus de questions, avec 18.Cxe6 Dc8 19.Cg7+ Rf8 20.Th6. Après quelques autres décisions correctes de sa part, vu qu’il avait tout bien fait, j’ai été obligé de sacrifier une Tour en b2 pour moi-même forcer le perpétuel.
Ronde 6 : Wang Hao (2762) – Mvl 1/2
C’est ma mauvaise partie de la première moitié du tournoi.
Déjà, je n’ai pas joué l’évident 22…Dh4+. Je ne sais plus du tout ce que je craignais après 23.Cg3 Df6, mais je craignais clairement quelque chose. Pourtant, les blancs n’ont rien de mieux que 24.Ce2, répétant les coups. J’ai donc opté pour 22…Th8 à la place, et après 23.Th1, j’ai passé pas mal de temps à calculer 23…e5 24.d5 Cd4 25.Cxd4 exd4 26.Dd3 ; et là, j’envisageais 26…Th4 et je pensais que je n’étais pas si mal. Les noirs menacent plus ou moins 27….b5, j’imaginais que ce ne serait pas si anodin pour les Blancs. Et puis, quand il a effectivement répondu 23.Th1, je me suis aperçu qu’après 26…Th4 27.Tcd1, le pion d4 serait perdu sans compensation puisque le Roi blanc est plutôt en sécurité en f2 ou e2. Certes, je peux encore jouer 27…b5, mais simplement 28.Fxb5 Tc3 29.Dd2! et c’est terminé. Dès lors, j’ai dû me replier sur la variante backup, et échanger les quatre Tours par 23…Txh1 24.Txh1 Th8 25.Txh8 Rxh8. Je pensais encore que ça allait, mais j’ai raté 26.Dc3!, et ça devient compliqué. Et après 26…Rg8 27.d5, j’ai encore raté le joli motif 27…Dh4+ 28.g3 Dh2+ 29.Re3 exd5 30.Fxd5 parce que je n’ai pas vu 30…Fa6!. C’était tellement mieux que la partie que je l’aurais sans doute joué de toute façon, même si ça a l’air hautement acrobatique.
Dans la partie, après 26…Dxc3 27.Cxc3, le problème, c’est que sur le coup que j’ai envie de jouer, 27…Ce5, il y a évidemment 28.d6 qui pose problème maintenant. C’est peut-être tenable, mais en fait, la différence pour moi, c’était que sur 27…Ca5 28.d6 Rf8, ensuite j’avais 29…e5 qui me permettait d’isoler le pion d6. Mais après 27…Ca5 28.Fd3! joué par Wang Hao, c’est objectivement terminé. C’est ensuite un petit miracle qui s’est produit.
S’il avait joué 34.Cc3! au lieu d’aller chercher le pion a6 par 34.Cc7?!, je n’aurai eu aucune chance d’en réchapper. En effet, il aurait rapidement forcé …b5, pour notamment donner un accès en c5 à son Roi ; et si je bouge le Fb7 pour donner a6, mon Ca5 ne bouge toujours plus, ce qui change tout par rapport à la partie, où il a pu passer en d6 via b7 ! Après 34…Rd6 35.Cxa6 Cb7, je n’ai pas du tout compris 36.g4?, qui m’a bien facilité la défense. D’ailleurs, il semble bien qu’il y ait une nulle forcée après 36…Cc5!, mais dans le feu de l’action, je ne l’ai pas compris ; il faut dire que ce n’était pas du tout évident ! En effet, il me semblait que la finale de Fous perdait après 37.Cxc5 bxc5+ 38.Rc3 f5 39.gxf5 gxf5 40.Fc4 f4 41.a4 Fh3 42.a5 Fg2 43.a6 Rc7 ; là, il y a plusieurs gains, mais le plus esthétique est 44.d6 Rxd6 45.Fd5!. Et sur l’échiquier, le naturel 38…Rxd5 (au lieu de 38…f5) 39.Fc4+ Re5 40.Fxf7 g5 me paraissait largement suspect ; pourtant, on dirait bien que ça annule d’après l’ordi !
Du coup, j’ai renoncé à 36…Cc5! au profit de 36…g5?. Telle que la partie s’est déroulée, tout ce que je pouvais espérer, c’est une sorte de forteresse avec le Cavalier en d6. Mais j’avais quand même de légers doutes ; si, par exemple, il arrivait à mettre le Roi en b4, puis le Fou en c6, et jouer Cb5, je n’étais pas sûr que la forteresse tienne complètement le choc. Par exemple, a4, Cc7-a8 et le pion b6 n’est quand même pas complètement serein. Donc, j’ai décidé de prendre des mesures un peu plus actives en ramenant le Roi en c5.
Plus tard, après 56.gxf5,
j’ai écarté le naturel 56…Cxf5 57.Cxf5 Fxf5 58.f4 g4 à cause de 59.Rf2, mais en fait, comme me l’a dit Wang Hao après la partie, ici 59…b5! 60.Rg3 (60.a3 b4! 61.axb4+ Rxb4 et les blancs n’ont plus assez de pions) 60…b4 force la nulle. Mais comme d’un autre côté, j’avais senti que 56…Fxf5 57.Cxf5 Cxf5+ 58.Re4 Ch4! serait une forteresse, j’ai choisi cette option. Après, je voyais aussi des scénarios où ma forteresse ne tenait pas. Du coup, j’ai fait très attention et j’ai calculé attentivement chacun de mes coups !
Dans l’ensemble, quand même une très mauvaise prestation de ma part, mais il est crucial d’être capable de sauver ces parties-là !
Ronde 7 : Mvl – Nepomniachtchi (2774) 1-0
Je ne m’attendais pas forcément à la Française mais malgré tout, comme Ian l’avait déjà jouée dans le tournoi (contre Alekseenko), on a été obligés de la prendre en compte. On a donc regardé comment poser des problèmes, ce qui n’est quand même pas le plus compliqué contre la variante Winawer 🙂 . Cependant, il faut être prêt à prendre un minimum de risques, évidemment…
Le premier moment critique, c’est quand Ian a réfléchi une demi-heure pour jouer 18…c4?!, une décision contestable de fermer le centre. C’est vrai que si les noirs avaient le temps de ramener leur roi en c7, ce serait sans doute une très bonne idée. Mais je pensais juste qu’ils n’en auraient pas le temps, que j’allais combiner les idées classiques de la Winawer, ce que j’ai pu faire avec notamment la manœuvre a4, Fc1-a3 bien sûr. A la place de 18…c4, je m’attendais à 18…Txb1 19.Dxb1 Da6 pour retarder le roque blanc, même si je comprends bien qu’il n’ait pas eu envie de mettre ma Dame en b1 si vite.
Plus tard, après 22…Cc6, j’avais anticipé de sacrifier la qualité en b4. Je savais qu’il y avait sans doute d’autres façons de jouer bien sûr, mais j’aimais bien ce concept. Et mon idée originelle, c’était de le faire par 23.Tfb1… Mais quand j’ai vu qu’en plus, je pouvais jouer directement 23.f4, je n’ai pas hésité une seconde ! Après, ça s’est joué à pas grand-chose pour que le concept marche, après que les noirs aient tenté de fermer la position par 23…Ce7 24.Tfb1 f5. Mais le fait qu’il y ait maintenant dans la structure cette idée de rupture avec g4! est finalement crucial, et c’est effectivement ce qui se passera quelques coups plus tard.
En revanche, il y a quand même un point important à mentionner, pour montrer que c’était loin d’être trivial.
Ici, au lieu de 32…exf5, Ian pouvait essayer 32…Db6. Je pense que ça doit perdre aussi, mais c’était une bien meilleure chance pratique. Pour moi devant l’échiquier, le coup, c’était 33.f6+. Mais en fait, après 33…gxf6 34.Dh7+ Rd8 35.Dxh6, les noirs ont 35…fxe5 36.fxe5 Db1+ et c’est déjà perpétuel. Et si j’essaie d’anticiper avec 35.Rf2, alors les noirs ont la ressource miracle 35…fxe5 36.fxe5 Re8! 37.Dxh6 Cf8 et tout tient, par exemple 38.Dg7 Db1! et le pion h n’ira pas loin. A posteriori, la machine montre que le bon coup contre 32…Db6 était 33.Da1!, mais il est clair que Ian et moi avons tous deux considéré que c’était 33.f6+ qui aurait réfuté 32…Db6.
Dans la partie, après 33.Cg3 suivi de 34.Cxf5+, il me restait à être concentré et précis pour ne pas laisser échapper le point entier.
En termes de résultats comme de contenu, cette première moitié du Tournoi des Candidats est évidemment très positive pour moi. C’est le cas du point de vue des prépas, mais aussi dans le jeu lui-même. Alors évidemment, absolument rien n’est fait, et il y a beaucoup de choses qui vont se passer dans la deuxième moitié. D’ailleurs, je commencerai à la reprise par doubler les noirs contre Caruana et Ding Liren ; ce sera un passage compliqué et très important. Il y aura aussi l’avant-dernière partie avec les Noirs, contre Nepo, le co-leader actuel. Dans l’état actuel des choses, cette partie-là a le potentiel d’être décisive pour le gain du tournoi. Mais bon, de manière générale, toutes les parties vont être très importantes, et chaque demi-point comptera. Si je joue au niveau de ce que j’ai montré pour l’instant à Ekaterinburg, je suis évidemment un des grands favoris pour l’emporter. Et il ne tient qu’à moi de le démontrer…
Le tournoi a été suspendu suite à l’annonce par le gouvernement russe de la fermeture imminente de son espace aérien. Nous avons pu sortir du pays in extremis dans la nuit, grâce à l’affrètement d’un jet privé qui nous a déposés, Caruana et moi-même – ainsi que quelques autres personnes – à l’aéroport d’Amsterdam 🙂 .
A mi-parcours, je partage donc la tête avec Ian Nepomniachtchi. Avec 4.5/7, nous avons un point d’avance sur le groupe de poursuivants.
En attendant que le tournoi reprenne, je vais rester tranquillement chez moi, le temps qu’il faudra. Je vais quand même continuer à m’entretenir physiquement et au niveau du jeu. D’ailleurs, je participerai au tournoi en ligne Carlsen Invitational, qui débute le 18 avril et réunira les meilleurs joueurs du monde. Ensuite, le temps viendra où il faudra repasser un coup d’accélérateur, évidemment ; quand les choses seront plus claires et que ça ira un peu mieux dans le monde.
Pour ma part, j’ai le sentiment que l’activité en général, et l’activité échiquéenne en particulier, ne reprendront pas avant au moins la rentrée de septembre…
Faites comme moi, restez chez vous !
En cette période de confinement, le jeu d’échecs sur Internet a le vent en poupe, et les initiatives se multiplient. Ne pouvant faire face aux (très) nombreuses demandes de clubs d’échecs français pour qu’il participe à un de leurs tournois en ligne, Maxime a décidé de proposer une simultanée. Il affrontera donc vendredi 10 avril à 18h, 20 adversaires préalablement tirés au sort parmi les personnes intéressées qui se seront inscrites. Modalités à découvrir très bientôt sur les réseaux sociaux de MVL 🙂 .
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