Grenke : Carlsen loin devant

Grenke 2019

Trois mois après mon dernier tournoi à Gibraltar, la saison débutait vraiment pour moi le 20 avril, à l’occasion du traditionnel Grenke Chess Classic, organisé par mon club allemand de Baden-Baden. Comme d’habitude, le tournoi démarrait à Karlsrühe, en marge du monstrueux Grenke Open, qui a réuni pour cette édition 2019 plus de 2.000 participants, dont de nombreux amis français, emmenés par mon entraîneur Etienne Bacrot, et mon coéquipier d’Asnières Jules Moussard. Bien qu’invaincus tous les deux, ils n’ont pas pu jouer les premiers rôles, à cause d’un trop grand nombre de nulles concédées.

Le Grenke Classic proposait cette année un plateau alléchant, dominé par la présence d’un Magnus Carlsen en état de grâce depuis quelques mois. Avec le vice-champion du monde Caruana, ainsi qu’Anand, Aronian et moi-même, c’est la moitié du Top 10 mondial qui était réuni en Allemagne. Trois membres de Baden-Baden, Svidler, Naiditsch et Vallejo, étaient également du voyage, ainsi que les Allemands Meier et Keymer. Ce dernier, âgé seulement de 14 ans, faisait une entrée remarquée dans un tournoi de ce niveau, grâce à sa victoire dans l’Open de l’année précédente.

Ronde 1 : Mvl – Anand (2774) 1/2

Une entrée en matière assez compliquée à gérer, car je ne m’attendais pas à ce que Vishy entre dans cette ligne très tactique de la Caro-Kann, variante d’avance. Du coup, je me suis retrouvé « le cul entre deux chaises », hésitant entre prendre la nulle par répétition déjà connue de la théorie, ou essayer de me rappeler de toutes les subtilités analysées. Quand j’ai compris que je n’arriverais pas à me remémorer les détails, j’ai choisi la voie de la sagesse !

Les noirs contre Caruana (photo George Souleidis)
Les noirs contre Caruana (photo George Souleidis)

Ronde 2 : Caruana (2819) – Mvl 1/2

J’attendais avec intérêt le débat sur la Najdorf, mais Fabiano s’est défilé et m’a pris à contre-pied avec 2.Cc3 suivi de 4.Dxd4 ! J’ai eu le sentiment d’égaliser, mais il a en fait pris l’avantage grâce à quelques bons coups, notamment 19.Rd1! dans la position suivante.

Caruana-Mvl, ronde 2.
Caruana-Mvl, ronde 2.

Après 19…f6 20.Cxc6 Fxc6 21.Cd4 Fd7?!, il aurait pu gagner un pion par 22.c4! (au lieu de 22.f3), car ce que j’avais prévu 22…Ff8 23.cxd5 Cc3+? ne marche pas : 24.Fxc3 Txc3 25.Fc4! et l’enfermement de la Tour va coûter la qualité. Cette frayeur passée, j’ai pu défendre la position sans trop de difficulté.

Ronde 3 : Mvl – Naiditsch (2695) 1/2

On sait que je suis l’un des rares à continuer d’affronter le Mur de Berlin ! Pour le coup, l’ouverture s’est bien passée et j’ai obtenu un avantage. Le problème, c’est que j’avais beaucoup d’options, et je n’ai peut-être pas choisi la meilleure sur le plan pratique.

Mvl-Naiditsch, ronde 3.
Mvl-Naiditsch, ronde 3.

24.f4 Tf8 (sinon 25.f5!) 25.Cf6+!? est spectaculaire, mais a le désavantage de fournir aux noirs une série de coups forcés. Le plus efficace était sans doute 24.Te3!, que je n’ai pas retenu à cause du contre-jeu sur c4 avec …Cd7-b6. Mais en fait, après 24…Cd7, la manœuvre 25.Tg3! Th7 26.Tgd3 Cb6 27.Fc1! donne un avantage quasi-décisif. La menace est 28.Fg5, et si 27…Cxc4 28.Td7!. Dans la partie, après 25…gxf6 26.exf6 Fd6 (26…Txf6? 27.Fxf6 Fxf6 28.Txe6+ Rf7 29.Txf6+! Rxf6 30.Td8 est décisif), j’avais encore l’option 27.Td5! pour conserver l’avantage. Mais je n’ai pas envisagé ce coup, et j’ai choisi 27.Txe6+?!, après quoi je n’ai plus que la nulle : 27…Rf7 28.Tde1 (28.Tdxd6 cxd6 29.Te7+ Rg6 30.Rf2 Td8 31.Tg7+ Rf5 32.Rf3 Cd7 33.Tg5+ Re6 34.f5+ Rf7 35.Tg7+ Rf8 reste très obscur) 28…Td8 29.g4!? hxg4 30.h5 Cd7 31.Te7+ Fxe7 32.Txe7+ Rg8 et je n’aurai finalement pas plus que le perpétuel.

 Contre Naiditsch, le début d’un combat tactique spectaculaire (Photo George Souleidis).
Contre Naiditsch, le début d’un combat tactique spectaculaire (Photo George Souleidis).

Ronde 4 : Meier (2628) – Mvl 0-1

J’ai facilement égalisé contre la tentative 5.h3 sur la Grünfeld. Après quelques imprécisions de part et d’autre, notamment sur le gros zeitnot de l’Allemand, nous sommes arrivés après les 40 coups dans une finale sans doute nulle, mais quand même pas facile à défendre pour les blancs. Il l’a tout de même fait, et plutôt bien, pour obtenir une position clairement nulle. Du coup, j’ai continué par inertie, avec le vague espoir de le tester un peu dans T+C c. T si l’occasion se présentait. C’est là qu’il a commencé à prendre quelques décisions un peu bizarres, jusqu’au point culminant dans la position suivante :

Meier-Mvl, ronde 4.
Meier-Mvl, ronde 4.

Ici, j’avais vu qu’il devait jouer 71.Td1!, pour pouvoir garder le Roi sur la seconde rangée, par exemple 71…g3+ 72.Re2 Tb2+ 73.Td2!. Mais il a joué 71.Ta1?, et après 71…g3+ 72.Rg1 Cf3+ 73.Rh1 Tb2, je sentais bien que je devais être gagnant. Mais je ne trouvais pas exactement comment et j’ai tâtonné un peu, avant de découvrir l’idée de zugzwang de la partie.

Meier-Mvl, ronde 4.
Meier-Mvl, ronde 4.

J’ai transféré mon Roi de l’aile-Roi jusqu’en b3. Ici, Meier devait impérativement trouver 82.Rh1!, seul coup, obtenant la même position que dans la partie, mais avec le trait inversé ! Par exemple 82…Rb2 83.Te1 Cf3 84.Td1. Dans ce joli cas de zugzwang réciproque, j’aurais dû admettre que le transfert du Roi était inutile, et trouver un autre plan de gain avec le Roi à l’aile-Roi. Meier m’a simplifié la tâche avec 82.Td1? Cf3+ 83.Rh1 Rb2! inversant le trait, et les blancs n’ont plus que 84.Tg1, donnant la qualité. Mais attention, ce n’est encore pas si simple après 84…Cxg1 85.Rxg1,car le Roi noir est loin. Mais j’avais vu une suite clinique, qui donne le pion g mais permet de désolidariser le Roi et le Cavalier blancs. 85…Rc3 86.Ce3 Rd3 87.Cf1 Re2! 88.Cxg3+ Rf3 89.Cf5 Td2 90.Ch4+ Rg3 91.Cf5+ Rg4 92.Ce3+ Rf3 93.Cf5 Td5 94.Ce7 Tc5 0-1.

Ronde 5 : Mvl – Aronian (2763) 1/2

Levon m’a joué une idée nouvelle dans une position de l’Anti-Marschall dont nous avions déjà discuté de nombreuses fois, qui consistait à fermer le centre. Peut-être que je n’aurais pas dû accepter la nulle si rapidement, mais tous mes plans pour prendre l’avantage passaient par une expansion à l’Aile-Roi, qui m’a semblé risquée sur l’échiquier.

Après cette partie, nous avons eu une journée de repos, mise à profit pour effectuer le (court) déplacement entre le tumulte de la salle de jeu de Karlsrühe, et l’intimité de celle de Baden-Baden !

 Carlsen sur un nuage… (Photo George Souleidis).
Carlsen sur un nuage… (Photo George Souleidis).

Ronde 6 : Svidler (2735) – Mvl 1/2

J’ai égalisé confortablement contre l’Anglaise, et Peter a pris un risque en refusant d’échanger les Dames au 12e coup. Du coup, j’ai essayé de jouer contre sa Dame un peu hors-jeu en h3.

Svidler-Mvl, ronde 6.
Svidler-Mvl, ronde 6.

Malheureusement, j’ai pris ici la décision d’échanger les Fous de cases noires par 18…Fh6?! ; un choix pas très heureux, qui s’explique par le fait que je ne voyais pas comment continuer l’attaque. Je n’étais pas sûr d’être plus rapide en cas d’attaque de roques opposés, car a4-a5 arrive vite, tandis que la Dame blanche peut revenir en jeu si ça s’ouvre. Mais l’ordi me réfute , estimant qu’avec le simple 18…Fe7 comme avec le tranchant 18…f5!? 19.exf5 Cd5, j’aurais pris un clair ascendant. Dans la partie, après 19.Fxh6 Txh6 20.De3 Th7 21.Tfd1 Thd7 22.Cf1 et l’échange des quatre tours, la position s’est rapidement aplanie.

Ronde 7 : Mvl – Vallejo (2693) 1/2

Une longue partie de manœuvres, typique de la variante d’Avance de la Française. Le problème avec ce genre de position, c’est qu’on a toujours l’impression d’être bien, avec l’avantage d’espace, mais ce n’est jamais si simple. J’ai essayé de m’organiser pour sacrifier une pièce à l’aile-Roi, mais je n’ai pas trouvé de façon convaincante de le faire.

Ronde 8 : Mvl – Keymer (2516) 1-0

Le jeune allemand est un adepte de la Sicilienne Najdorf, mais j’ai choisi de transférer le combat en milieu de jeu avec 2.c3. Dans une position assez simple et relativement équilibrée, il a choisi la solution radicale 17…b5?! qui vise, au prix d’un peu de temps, à gagner le contrôle de la case d5. Rien ne l’y obligeait pourtant.

Mvl-Keymer, ronde 8.
Mvl-Keymer, ronde 8.

Après 18.cxb5 Cb4 19.Ce5 Dxb5 20.Th3, j’ai pu coulisser ma Tour sur la 3e rangée, alternant menaces à l’aile-Roi et à l’aile-Dame, pour finalement forcer l’affaiblissement …f5. Peut-être qu’en théorie, ça doit quand même tenir pour lui, mais en pratique, c’est vraiment infernal à défendre ! Il a eu une dernière chance dans la position suivante, avec cependant très peu de temps pour jouer ses 4 derniers coups.

Mvl-Keymer, ronde 8.
Mvl-Keymer, ronde 8.

Ici, le meilleur objectivement était sans doute 37.gxf5 exf5 et les blancs conservent l’avantage, mais j’ai quand même joué 37.De3 car j’avais senti que son idée était de ramener la Tour en g8 via c8 et j’avais anticipé que c’était mauvais ! En effet, après 37…Tc8? 38.gxf5 Tg8+ 39.Rh2 Cxf5 40.Cxf5 exf5, j’ai pu jouer une jolie manœuvre en escalier gagnante ; 41.Db3+ Rf8 42.Db4+ Rf7 43.Dc4+ Rf8 44.Dc5+ Rf7, et maintenant 45.Ta1! Ta8 46.Ta6! est létal car les noirs ne peuvent plus bouger (1-0, 49 cps). Or, sur 37.De3, il avait encore l’échappatoire 37…fxg4 38.Dxh6 g3!, et la position reste nébuleuse après 39.Dh7+ Re8 40.Cf3.

Dernière partie… (Photo George Souleidis).
Dernière partie… (Photo George Souleidis).

Ronde 9 : Carlsen (2845) – Mvl 1-0

Une partie difficile contre un Carlsen éblouissant, qui avait déjà quasiment assuré le gain du tournoi avant cette dernière ronde. J’ai décidé sur l’échiquier de ne pas jouer mes systèmes habituels contre l’Anglaise, et de préférer une variante flexible avec …d6 et …Ff5, évitant au passage sa prépa. Néanmoins, j’ai été un peu surpris par son coup 9.Fe3, avec clairement l’idée de jouer d4 dans de bonnes conditions.

Carlsen-Mvl, ronde 9.
Carlsen-Mvl, ronde 9.

Rien ne justifiait cependant que je surréagisse avec …a6-…b5, et j’avais plusieurs autres options « normales » à ce stade ; par exemple 9…a6 10.Dd2 Tb8, avec l’idée …b5 sans sacrifier le pion ! Mais ayant dit A, j’ai poursuivi mon idée et j’ai dit B, poussant 10…b5? en pensant avoir des compensations après 11.cxb5 axb5 12.Cxb5 Da5. J’ai vite réalisé que ces compensations étaient bien maigres en réalité ! Malgré tout, j’ai pu poser des problèmes tactiques, et il a dû trouver une transition en finale de Dames avec un pion de plus.

Carlsen-Mvl, ronde 9.
Carlsen-Mvl, ronde 9.

Ici, j’aurais certainement pu opposer une bien meilleure résistance par 34…Rg8 35.Dxd5 Da3, et les blancs doivent encore faire la démonstration technique du gain. A la place, j’ai voulu être actif par 34…f6? 35.Dxd5 h5, facilitant la tâche des blancs après 36.gxh5 gxh5 37.Dd7+ Rg6 38.a4 De2 39.Dd5! et tout est sous contrôle (1-0, 44 cps).

Grâce à cette ultime victoire, Carlsen s’est imposé sur le score ahurissant de 7.5/9. Il n’y a rien à ajouter ; juste applaudir…

Grille finale du Grenke Chess Classic 2019.
Grille finale du Grenke Chess Classic 2019.

Pour ma part, je ne me suis pas senti spécialement en forme au Grenke, et je n’ai pas disputé de partie référence sur laquelle s’appuyer. Le résultat est correct, la manière un peu moins…

Le calendrier s’accélère, et je m’envolerai lundi 6 mai pour Abidjan (Côte d’Ivoire), où se déroulera du 8 au 12 le premier tournoi du circuit Grand Chess Tour 2019.

Il arrive parfois à Maxime d’être interpellé dans les rues de Paris, notamment au Jardin du Luxembourg proche de son appartement, qu’il arpente régulièrement. Oh, ce n’est pas si fréquent :), mais c’est l’occasion pour les amateurs d’échecs qui le reconnaissent d’échanger quelques mots avec lui, et de l’encourager pour les prochaines échéances.
Dans Paris avec un amateur, quelques jours avant le départ…
Dans Paris avec un amateur, quelques jours avant le départ…

Les parties de Maxime :

Un long week-end d’enfer !

week-end

Après la fin du tournoi de Gibraltar, le 31 janvier, mon emploi du temps des mois de février et mars était particulièrement léger. Ce qui m’a permis de recharger les batteries et de m’entraîner plus en profondeur, dans la perspective d’une période de huit mois, entre le 20 avril et Noël, qui s’annonce clairement comme la plus dense de ma carrière. Mais je ne serai pas seul dans ce cas, la plupart de mes collègues devront eux aussi en passer par là ! La faute à un calendrier qui n’a pas pu être harmonisé, et qui nous oblige à jouer tous les tournois FIDE (Grand Prix, Coupe du Monde et Grand Swiss), tous ceux du Grand Chess Tour, ainsi que les tournois privés et le Top 12, entre fin avril et décembre !
J’ai toutefois eu ces derniers jours comme un avant-goût de la période de folie qui m’attend, et qui commencera le 20 avril avec le Grenke Classic, où je retrouverai notamment Carlsen, Caruana, Anand et Aronian.
En effet, tout a commencé jeudi 4 avril, avec une journée consacrée au tournage d’un reportage pour Eurosport, qui devrait être diffusé très prochainement.

Séquence blitz pour Eurosport, tournée dans le Jardin du Luxembourg à Paris, avec le GMI Jules Moussard (photo : 7L Brand Agency).


Le lendemain à la mi-journée, j’ai pris un vol pour Düsseldorf. Je devais rejoindre mon équipe de Baden-Baden, qui disputait le dernier week-end de Bundesliga à Solingen, distante d’une trentaine de kilomètres. Le match décisif pour le titre était programmé le samedi après-midi, contre Solingen justement.

Mvl-Harikrishna (Baden-Baden vs Solingen).
Mvl-Harikrishna (Baden-Baden vs Solingen).

Au premier échiquier, j’ai fait face au n°2 indien, Pentala Harikrishna (2723) :

Jusqu’ici, Hari a suivi ma partie contre Anand disputée l’année dernière au Grenke Chess (1-0, 39 cps).

23.Db3+! Dxb3 24.Cxb3.

Un choix surprenant car il a réfléchi longuement, et je me demandais où il comptait améliorer. Mais dans la position du diagramme, j’ai été le premier à dévier avec 19.Tee2. En effet, je me suis souvenu que contre Anand, après 19.Fxf8 Thxf8 20.f4, les noirs auraient pu jouer 20…Dc4! 21.Dxd7 Ff7! et la double menace 22…Tfd8 et 22…Da2 leur permet de maintenir l’équilibre. Je savais que 19.Tee2 était le meilleur coup, mais il m’a fallu du temps pour comprendre pourquoi après 19…e5 ! J’ai finalement trouvé l’astuce 20.b3 Da5 21.Dh3!, et si 21…Dc3 22.Dxd7+ Rg8, qui a l’air fort pour les noirs, j’ai en réserve 23.Td3! donnant la case d2 au Roi (23…Fxd3? 24.De6 mat). Il a donc opté pour 21…Td8, mais j’ai pu prendre un énorme avantage après 22.b4 (la Dh3 protège a3 !) 22…Da4

Maxime sur le point de jouer 23.Db3+! (photo : Guido Giotta).
Maxime sur le point de jouer 23.Db3+! (photo : Guido Giotta).

23.Db3+! Dxb3 24.Cxb3.
Malheureusement, j’ai mal joué la phase technique. En voulant éviter les complications et stopper tout contre-jeu noir, je l’ai laissé revenir dans la partie, jusqu’à un moment où il pouvait forcer une nulle claire, qu’il a laissé passer ! Nous nous sommes alors retrouvés dans la finale suivante :

Mvl-Harikrishna
Mvl-Harikrishna

Ici, la dernière chance des noirs était 57…Rg7 58.Ce5 Ta5+ (58…Fc8? 59.Tg6+) 59.Rd6 (59.Rd4 Fc8 60.Tg6+ Rh7 61.Txg5 Ta7! et le pion c7 tombe) 59…Fc8 et l’issue reste incertaine. En revanche, après le choix de Hari 57…Re7?, j’ai pu jouer le simple 58.Tg6 Ta2 59.Txg5 après quoi j’étais presque sûr de l’emporter, surtout que je voyais mon adversaire devenir d’une grande fébrilité (1-0, 67 cps).

Nous avons donc battu Solingen, et le lendemain, il nous fallait confirmer contre une équipe beaucoup moins forte sur le papier (Düsseldorf), afin de garantir le titre de champion 2019. J’ai eu l’occasion de jouer pour la première fois de ma vie contre une légende, toujours actif à 67 ans, Jan Timman (2549).
J’ai joué assez rapidement avec les noirs, essayant d’éviter les variantes de nulle forcée et de laisser de la vie dans la position. Timman a plutôt réagi correctement et a maintenu l’équilibre jusqu’à la position suivante :

Timman-Mvl (Düsseldorf vs Baden-Baden).
Timman-Mvl (Düsseldorf vs Baden-Baden).

Ici, au lieu de 29.g4 ou 29.h4, Timman a choisi le catastrophique 29.Db3? qui perd du matériel. Ce n’est pas apparent tout de suite, mais après 29…b6 30.Tb5 (30.Tc4 Rh8! et les blancs ne devraient pas survivre à la menace 31…f5) 30…Dc6!, le clouage sur la grande diagonale blanche s’avère décisif. La partie s’est poursuivie par 31.Tb4 (31.f3 Txe4! suivi de 32…Td2+ et 33…Dd7 avec attaque de mat) 31…Rh8 32.Rh2 f5 33.Cg5 Td2! 0-1

A nouveau champion d’Allemagne avec Baden-Baden ! (photo : schachbundesliga.com).
A nouveau champion d’Allemagne avec Baden-Baden ! (photo : schachbundesliga.com).

Le calendrier étant ce qu’il est, www.chess.com n’avait pas pu trouver de date idéale pour organiser son premier championnat de Bullet en ligne, finalement programmé en même temps que le dernier week-end de Bundesliga, mais en soirée. Le Bullet, surtout sans incrément, est un format impitoyable (une minute chacun KO), qui fait la part belle à la rapidité de calcul, au maniement de la souris, et à la science du « premove » ! (anticiper son coup avant de voir celui de l’adversaire afin de gagner du temps). Du coup, la hiérarchie n’est pas forcément la même, et de vrais experts de cette cadence, comme l’Ukrainien Oleksander Bortnik ou le prodige iranien Alireza Firouzja, ont intégré le tableau final a 8 joueurs.

Tableau final du premier championnat de Bullet en ligne.
Tableau final du premier championnat de Bullet en ligne.

Ma « vraie » partie du samedi contre Harikrishna ayant été assez longue, j’ai juste eu le temps d’avaler un morceau avant de foncer dans ma chambre pour mon quart-de-finale contre le GMI argentin issu des qualifications, Federico Perez Ponsa. Je me suis imposé de justesse dans le temps additionnel (8.5-7.5), avant de retrouver Bortnyk en demi-finale plus tard dans la soirée. J’avais déjà eu l’occasion de faire de longues séries de Bullet contre lui il y a de nombreuses années, avec un score très légèrement en ma faveur. Mais c’était peut-être un peu trop d’échecs en une seule journée , et je me suis incliné 12.5-16.5.
Le lendemain soir, après avoir empoché le titre en Bundesliga, j’ai enchaîné avec le match pour la 3e place contre Aronian, joué au meilleur des trois sets de 6 victoires. Je me suis imposé (6-2, 6-0), tandis que quelques instants plus tard, Nakamura décrochait facilement le titre face à Bortnyk (6-1, 6-2, 6-1).

Il était temps alors d’aller se coucher, car le marathon n’était pas fini ! Le lendemain matin, je devais rejoindre Gonfreville l’Orcher, près du Havre, où j’allais assister à la cérémonie de clôture de leur 50e Open International et donner une simultanée sur 28 échiquiers. Sous la houlette de Cyrille Vaugeois, le sympathique club normand est réputé pour ses organisations très réussies, et j’avais d’ailleurs pu le constater lorsque j’étais passé en spectateur au Championnat de France Jeunes 2016.

Séance de dédicaces après la simultanée de Gonfreville l’Orcher (photo : Cyrille Vaugeois).
Séance de dédicaces après la simultanée de Gonfreville l’Orcher (photo : Cyrille Vaugeois).

Bien sûr, le résultat d’une simultanée reste anecdotique, mais je dois signaler que seul le rouennais Bilguun Bat (2163), âgé d’à peine 12 ans, m’a pris un demi-point. Ca n’aurait d’ailleurs pas été un scandale s’il m’avait battu ! D’autres jeunes joueurs ont essayé de placer des propositions de nulle malicieuses, mais j’ai été impitoyable ! 🙂
Après la séquence dédicaces, le cocktail dînatoire, et l’inévitable session nocturne de blitz, j’ai pu rejoindre mon hôtel et goûter un repos bien mérité après ces cinq intenses journées !

Jouer une compétition d’échecs online, ce n’est pas toujours facile. Il faut une connexion fiable, une bonne souris, un environnement calme… Jouer depuis un hôtel à l’étranger n’arrange rien à l’affaire. C’est pourtant ce que Maxime et son camarade de Bundesliga Levon Aronian ont dû faire, depuis le lobby de l’hôtel Maritim à Solingen, afin de disputer le Championnat de Bullet. Ayant tous deux perdu leur demi-finale, ils devaient s’affronter pour la petite finale le lendemain. Heureusement, ils ont pu échapper à un duel en ligne à deux mètres l’un de l’autre – qui aurait été certes cocasse – puisque Maxime avait réservé une chambre hôtel à l’aéroport de Düsseldorf, afin d’être sûr d’attraper l’avion du lundi matin (à 6h40  !) qui lui permettait d’arriver à la mi-journée à Gonfreville l’Orcher !

Les parties de Bundesliga :

Les parties du tournoi de bullet sur chess.com :

« Ma nouvelle chaîne »

Ma nouvelle chaîne

Les échecs ont fait leur entrée dans le monde du esport, qui constitue désormais une véritable industrie. Certes pas encore dans les grand-messes de gamers qui génèrent des audiences incroyables, mais il est clair désormais que le jeu d’échecs a un avenir sur ce terrain-là. La plateforme www.chess.com l’a bien compris. Fort de ses plus de 27 millions de membres, le site échiquéen leader sur le marché a notamment noué un partenariat avec le géant du streaming, www.twitch.tv, qui diffuse des contenus variés, mais essentiellement basés sur le jeu en ligne et le sport électronique.

Soutenu par chess.com, j’ai lancé il y a quelques semaines ma propre chaine de streaming, www.twitch.tv/mvlchess. En fonction de mon actualité, je libère quelques heures pour jouer et commenter les parties en direct. Par exemple quand je participe à des compétitions en ligne, comme la Pro Chess League ou le récent match Usa-France en consultation, pour lequel le MF Kevin Bordi et moi-même affrontions le MI Danny Rensch et Nakamura. Je dispute également des parties informelles contre les forts joueurs connectés, et parfois même, je dédie des séances spécifiques au jeu contre mes abonnés. Enfin, il m’arrive également de relever des défis, comme le 5 mars, lorsque j’ai tenté de battre en direct le record du monde de « Puzzle Rush » détenu justement par Nakamura. Ce jeu fait fureur parmi les joueurs d’échecs de tous niveaux ; il consiste à résoudre le maximum d’exercices tactiques de difficulté croissante en 5 minutes chrono (avec une tolérance de deux fautes, la troisième étant éliminatoire). Pour la petite histoire, lors de ma tentative de record en direct, je me suis arrêté à 53, à un point de mon record personnel, et à deux points du record de Naka (55)…

Attardons-nous quelques instants sur ma série la plus aboutie ce jour-là.

Avec seulement 27 secondes restantes et une seule faute au compteur, je me suis vu proposer de marquer mon 54e point dans la position suivante :

« Puzzle Rush », Essai à 54, Trait aux blancs.

Après 1.Df4+ Rb6 2.Dxb4+ Ra6, j’ai malheureusement joué 3.Tf5 qui mate rapidement, mais ce jeu est impitoyable… 3.Tb8! matait un coup plus vite, et j’ai donc commis là ma deuxième erreur !

Adieu le record, mais pour l’honneur, je voulais arriver à 54. Il me restait 14 secondes pour résoudre l’exercice suivant…

« Puzzle Rush », Essai à 54, Trait aux blancs.

Après 1.Ce3+ Rg3 2.Dg4+ Rf2, j’ai malheureusement joué 3.Cd1+? sous la pression du temps, réalisant immédiatement que le bon coup était 3.Df4+!, car les blancs matent ou gagnent la Dame après 3…Re2 4.Df1+ Rd2 (4…Rxe3 5.De1+) 5.Dd1+ Rc3 6.Dc2+ Rb4 (6…Rd4 7.Cf5+) 7.Db2+ Cb3 (7…Ra5 8.Cc4+ Ra6 9.Db6 #) 8.Da3+!! Rxa3 9.Cc2 #.

Ce n’est que partie remise pour le record !

Revoir la vidéo complète de la tentative de record :

Watch Vive la France! MVL’s Puzzle Rush record attempt from mvlchess on www.twitch.tv

La saison régulière 2019 de Pro Chess League est terminée pour les Marseille Migraines de Maxime. Son équipe termine à la première place non-qualificative pour les playoffs de son groupe, juste derrière l’autre équipe française, les Cannes Blitzstreams. Malheureusement, ces derniers ne sont pas sortis des playoffs, et ne seront donc pas du voyage pour la phase finale à quatre équipes. Car celle-ci, certes organisée elle aussi sur Internet, aura lieu sur scène devant le public, début mai au Folsom Street Foundry https://folsomstreetfoundry.com de San Francisco (Usa) !

Petite consolation, Maxime obtient la meilleure performance individuelle de la saison régulière, avec 31/44 et une perf à 2753 Elo (juste devant Caruana 2752, et Nakamura 2751 !).

Les parties des dernières rondes de Pro Chess League :


« L’imagination gouverne le monde »

Trophée Napoléon 2019

Cette célèbre citation de Napoléon Bonaparte vient fort à propos illustrer l’événement échiquéen qui s’est déroulé le 16 février à La Roche sur Yon.

Mais quel rapport entre Napoléon et la préfecture vendéenne, me direz-vous ? Il se trouve que par décret du 25 mai 1804, celui qui allait devenir Empereur quelques mois plus tard, ordonna la fondation d’une nouvelle cité administrative et militaire au centre de la Vendée. La Roche sur Yon est de ce fait une « ville napoléonienne », qui fête régulièrement son fondateur.

Cette année, pour célébrer le 250e anniversaire de la naissance de Napoléon, la municipalité a donc décidé de créer un événement échiquéen, l’Empereur ayant été un amateur du noble jeu. Va donc pour un match-exhibition en blitz, entre moi-même et le grand espoir néerlandais, Jorden Van Foreest ! Et comme « l’imagination gouverne le monde », les organisateurs ont opté pour un format particulièrement original, sept parties au total, avec un mix de deux parties classiques, deux en Chess 960, deux sur une ouverture thématique, et une à l’aveugle pour finir !

Vue de la salle (Photo Ville de La Roche-sur-Yon).

La grande qualité de l’organisation a permis à cet événement de se dérouler dans les meilleures conditions, aussi bien pour les joueurs que pour les spectateurs. Un auditorium de 300 places rempli pour une exhibition d’échecs, dans une ville moyenne comme La Roche sur Yon, c’est un grand succès et ça fait toujours très plaisir.

Dans le match en lui-même, Jorden a opposé une bonne résistance. Je me suis rapidement trouvé en danger en perdant la première partie « classique ».

Mvl-Van Foreest, Partie 1

Ici, au lieu du normal 9.Cxd7, j’ai été tenté par le sacrifice de pion 9.d4?! cxd4 10.Ff4, mais après 10…Dc8, je n’ai pas pu démontrer de compensation.

Heureusement, j’ai pu passer la vitesse supérieure dans la deuxième partie classique, puis dans les deux parties de 960, enchaînant donc trois victoires consécutives. Voici une jolie petite combinaison finale dans la dernière d’entre elles :

Mvl-Van Foreest, Partie 4.

Les blancs viennent de jouer 23.Fxc5 et la position semble bien symétrique, mais les noirs ont le trait et les thèmes tactiques sont en leur faveur ! 23…Db3! et bizarrement, les blancs n’ont qu’un seul coup pour éviter de perdre du matériel, et il n’est pas si facile à trouver avec peu de temps. La partie s’est poursuivie par 24.Dxb3? (24.Te1? Fd4+!) 24…Fxb3 25.Td3 (25.Tc1 Txc5! 26.Txc5 Fd4+ ou 25.Fd5+ Fxd5 26.Txd5 Txc5!) 25…Fc4 26.Td4 Ff7! (mais pas 26…Txc5? 27.Txc4! et le thème tactique serait inversé ! Ni 26…Fxd4+ qui ne gagnerait « qu’une qualité ») 27.Td7 Txc5 0-1.

Pour revenir à la position du diagramme, le seul coup après 23…Db3!, c’était 24.Ff3! et tout tient !

La place Napoléon à La Roche sur Yon (Photo Etienne Mensch).

Les deux parties thématiques ne pouvaient pas proposer autre chose qu’une « ouverture Napoléon » !

Parties 5 & 6.

Guère impressionnés par le deuxième coup impérial, nous nous sommes tous deux facilement imposés avec les noirs !

Place ensuite à la partie à l’aveugle, à une cadence légèrement plus lente (15’ +10’’/cp). Voilà un type d’exercice que l’on n’a plus du tout l’habitude de pratiquer ! C’est d’ailleurs dommage car en dépit de son côté ultra intense – ou peut-être grâce à lui – le jeu à l’aveugle est vraiment intéressant. Il requiert un niveau de concentration supérieur et inhabituel. Je sais que certains joueurs trouvent ça trop difficile…

Mise en place de la partie à l’aveugle (Photo Ville de La Roche-sur-Yon).

A noter que dans cette dernière partie, nous avons joué trop vite l’ouverture pour qu’elle soit retransmise correctement ! Heureusement, le duo de MI Mullon/Mensch a rattrapé le coup au plus vite, découvrant au passage que j’avais opté pour le Dragon, et pas pour ma Najdorf favorite. Un choix qui n’a d’ailleurs pas été un franc succès, mais j’ai pu prendre le demi-point quand même, et remporter finalement le match sur le score de 4.5 à 2.5.

L’après-midi s’est conclue par une simultanée géante sur 100 échiquiers, donnée à quatre, Jorden et moi-même étant épaulés par les commentateurs, le MI Jean-Baptiste Mullon et le MF Yannick Berthelot. Autrement dit, chacun de nous retrouvait sa position quatre coups plus tard ! Autant dire qu’on la redécouvrait à chaque fois ! Evidemment, il y a eu quelques petits couacs, Jorden et moi étant un peu plus rapides que nos petits camarades . Du coup, il nous arrivait parfois de doubler l’un d’eux, et de créer des embouteillages sur quelques échiquiers. Avec comme conséquence de ne laisser que très peu de temps de réflexion à certains joueurs, et beaucoup trop à d’autres…

Du coup, dans la bonne humeur générale, quelques pièces ont été laissées en prise, et quelques parties perdues !

Simultanée dans l’Atrium (Photo Ville de La Roche-sur-Yon).

Le Trophée Napoléon à La Roche sur Yon ayant été un franc succès, il sera peut-être reconduit l’année prochaine. C’est tout ce qu’on souhaite à une équipe d’organisation qui a placé la barre remarquablement haut pour une première édition, bien soutenue par une municipalité motivée.

Site officiel : http://www.larochesuryon.fr

J’en profite pour rappeler qu’en direct sur ma chaine www.twitch.tv/mvlchess, j’assure le streaming en live de nombreux événements auxquels je participe sur www.chess.com, comme la Pro Chess League, les Titled Tuesday, ou autre… Parfois, je me contente simplement de streamer des parties amicales contre de forts, (voire très forts ) joueurs, ou encore de me livrer à des résolutions d’exercices tactiques en temps limité ! Souvent en anglais, parfois en français, je partage mes impressions quand je joue, et je réponds à de nombreuses questions en direct…

Mi and l’Au, c’est le nom du groupe de musique composé du duo franco-finnois Laurent Leclère et Mira Romantchouk, qui a déjà sorti plusieurs albums reconnus des amoureux de musique folk et éthérée. Ce couple amateur d’échecs qui vit donc en Finlande, nous a écrit pour nous faire partager quelques-unes de leurs mélodies. Particularité de celles-ci, elles ont été composées au bord d’un lac près de leur maison, tout en regardant les parties de Maxime… Voilà qui n’est pas banal !
Ci-dessus un de ces morceaux à la genèse si singulière :

Leur page Facebook : https://www.facebook.com/wearemiandlau

Tout est bien qui finit… mal !

Premier tournoi de l’année, Gibraltar est désormais une destination habituelle pour moi. J’aime l’ambiance qui y règne, la vie avec les autres joueurs français, qui étaient une bonne dizaine cette année, ainsi que les activités annexes ; blitz par équipes, tarot, mini ping-pong, « Bataille des Sexes » sur échiquier géant etc…

Malgré la perte de mon passeport, je suis arrivé sur le Roc 48 heures avant le début du tournoi, bien décidé à apprécier mon séjour, mais aussi à commencer l’année sportive sur une note positive, dans le contexte jamais facile d’un très fort Open.

Ronde 1 : Kiik (2410) – Mvl 0-1

J’ai entamé le tournoi contre un MI estonien expérimenté avec les noirs. J’ai pris l’ascendant assez rapidement mais je me suis largement compliqué la vie avant le contrôle de temps. La position est certainement gagnante, mais reste compliquée sur le plan technique. Cependant, je ne l’ai pas traitée au mieux, et 17 coups plus tard, nous sommes parvenus à la position critique :

Kiik-Mvl, ronde 1 ; un avantage pas facile du tout à convertir.

S’il s’était contenté d’attendre, j’aurais sans doute dû en passer par le plan …g5-g4 pour progresser, ce qui aurait forcément laissé du contre-jeu. Mais ici, Kiik a choisi le très mauvais 58.g3?, qui crée un affaiblissement fatal de la position ; 58…Dc5 59.Rg2 Dc1, et les blancs ont abrégé leurs souffrances par 60.Db4? De3! 0-1.

Tout sourire avec l’organisateur en chef, Brian Callaghan (Photo John Saunders).

Ronde 2 : Mvl – Puranik (2536) 1/2

Mvl-Puranik, ronde 2 ; une jolie ressource pour les noirs.

Ici, j’avais l’intention de jouer le naturel 19.Fe3 Dd3 20.Da2! (mais pas 20.De1? Cxb3! 21.Txb3 Dxc4), et la menace 21.Ff1 semble donner l’avantage car la Dame noire est enfermée. Mais j’ai réalisé que les noirs pouvaient alors sacrifier la Dame par 20…Fxc3 21.Td1 Dxe3!, et bien qu’ils n’aient que Fou et Cavalier en compensation, le manque de points d’accès à la position noire m’aurait empêché de créer quoi que ce soit. Du coup, j’ai opté pour la finale un peu supérieure après 19.Cd5 Fxd5 20.exd5 Dd3 21.Ff1 Dxe2 22.Fxe2, puis j’ai gagné un pion, mais au prix d’une transposition en finale de Tours + Fous de couleurs opposées quasiment impossible à gagner :

Mvl-Puranik, ronde 2.

Ici, malgré quinze minutes de réflexion, j’ai vraiment pété un câble avec 42.Tf1?. J’ai simplement oublié qu’après 42…Txb3, si 43.Fe6, les noirs ont 43…Tc3! qui gagne (mais pas 43…Fd4? 44.Tf7+ Rg6 45.Txe7 Te3+ 46.Rf4). Du coup, j’ai rapidement éliminé la possibilité 42…Txb3 et je me suis focalisé sur les autres possibilités, 42…Tf8 44.Fh3 ou 42…Fg3. Une fois le coup 42…Txb3 effectué, j’ai donc dû faire machine arrière et défendre la position avec un pion de moins par 43.Fd7 Fc3 44.Fb5 Th3 45.Rf5 Txh4 46.Re6!. Après la prise du pion e7 et le transfert du Roi en b6, j’ai quand même pu sauver le demi-point, au terme d’une partie pas trop rassurante dans l’ensemble.

Ronde 3 : Mvl – Onabogun (2189) 1-0

Une partie pas si simple, loin de là, contre un joueur nigérian inconnu, mais qui venait tout de même de battre deux GMI lors des deux premières rondes ! Il a d’ailleurs joué l’ouverture très correctement et m’a littéralement bluffé dans la position suivante, en jouant 16…Cc2 a tempo !

Mvl-Onabogun, ronde 3 ; 16…Cc2, un incroyable culot !

J’avais tellement de possibilités tactiques, que j’étais presque sûr qu’il y aurait un gain quand j’ai commencé à calculer. Certes, 17.Fh6? gxh6 18.Cxe7+ Txe7 19.Dxf6 Te6 ne marche pas. 17.Fe3 Dxb2 ne semble pas suffire non plus. 17.Fg5 était intéressant aussi, mais je me suis concentré sur 17.e5, qui avait l’air très tentant ! Après 17…Cxa1 18.Cxe7+ (mais pas 18.Cxg7? Rxg7 19.exf6+ Fxf6 20.Fh6+ Rg6!, ni 18.Fg5 à cause de la jolie défense 18…Cd7!) 18…Txe7 19.exf6 Te6!, les noirs semblent tenir. Je ne sais pas si mon adversaire a eu conscience de l’avalanche de possibilités tactiques que son coup 16…Cc2 a fait émerger, mais ce qui est sûr, c’est que j’ai dû finalement me résoudre à jouer le tout bête 17.Tb1, et après 17…Cd4, les noirs ont égalisé ! De l’art de traverser un champ de mines en sifflotant !

On peut manger et en même temps suivre la partie de Maxime après le coup égalisateur 17…Cd4 ! (Photo David Llada).

Heureusement pour moi, après 18.Cxd4 Dxd4 19.Td1 De5 (19…Tad8 était possible) 20.Ff4, il n’a pas intercalé 20…dxe4, et j’ai pris l’avantage après 20…De6?! 21.exd5!, forçant une finale favorable, transformée en une finale de Fous pure après le 40e coup.

Mvl-Onabogun, ronde 3.

Ici, le gain s’obtenait facilement par 41.Re2! g4 42.hxg4 hxg4 43.Rd2 suivi de 44.Rc2 puis b3 et reprise en b3 avec le Roi, pour garder un pion a éloigné. A la place, j’ai joué 41.b3? axb3 42.axb3 g4+ 43.hxg4 hxg4+ 44.Re2.

Mvl-Onabogun, ronde 3.

On voit bien qu’un pion a serait innarêtable ici, tandis que c’est loin d’être le cas avec un pion b. S’il avait été vigilant et qu’il avait joué ici 44…Rf7! 45.b4 (45.f4 Ff6!) 45…Re6, mon adversaire aurait été clairement favori pour la nulle ! Mais il a oublié qu’après le naturel 44…Rf6?, les blancs avaient 45.f4!, forçant la prise en passant pour ne pas perdre d4. Et après 45…gxf3+ 46.Rxf3 Re6 47.b4 Rd5 48.b5, ce n’est plus du tout la même histoire, car les blancs forceront le passage du Roi en f4 par un chantage à l’échange des Fous ! Et c’est ainsi que la partie s’est conclue : 48…Fb8 49.Fd8 Fd6 50.b6 Rc6 51.Fc7! 1-0. Ouf !

Tournoi de blitz par équipes (Photo Niki Riga).

Ronde 4 : Vocaturo (2626) – Mvl 1/2

Contre ma Najdorf, le GMI Italien a joué une sous-variante de la ligne 6.Fc4 que je n’ai pas vraiment comprise ; 6…e6 7.Fb3 Cbd7 8.0-0 Cc5 9.De1!?. Il m’a expliqué après la partie cette idée, qui reste quand même assez tarabiscotée à mes yeux. J’ai obtenu une position de milieu de jeu plaisante à jouer, mais j’ai commis une imprécision au 16e coup :

Vocaturo-Mvl, ronde 4 ; un roque trop précipité.

Ici, j’ai roqué un peu mécaniquement, laissant faire la manoeuvre Cd1-e3. 16…Dc7! d’abord était donc plus précis. Du coup, après 16…0-0?! 17.Cd1! Ch5 18.Ce3 Cg7 19.Ff2 f5 20.c4, la position est devenue super tendue. L’ordi préfère les blancs, mais je ne me sentais pas moins bien pendant la partie ! Après une imprécision de ma part (31…Dd7?! au lieu de 31…Tc4! =), la machine montre que les blancs pouvaient prendre l’avantage en abandonnant leur pion e4 dans la position suivante, ce qui était loin d’être évident devant l’échiquier !

Vocaturo-Mvl, ronde 4 ; que c’est compliqué !

Les blancs ratent 33.Txa6!, qui interdit la prise en e4 à cause de 33…Cxe4 34.Cd4! avec l’idée 34…Cxf2? 35.Dg6+ qui tue. Et si 33…Txe4, c’est 34.Cc5! dxc5 35.Txf6 Fxf6 36.Dxe4 qui semble décisif. Nous sommes tous deux passés à côté de ce thème, et après 33.Cd2? Txb2 34.Txa6 Dc7, Vocaturo aurait dû jouer 35.Ta8, avec une égalité dynamique. Mais il a préféré 35.Tc6? Da5 36.Tc2, après quoi c’est à mon tour d’avoir raté le coche par le simple 36…Da1+ (au lieu de 36…Txc2?) 37.Rh2 Da2! 38.Txb2 Dxb2 et les blancs sont en danger.

Décidément, je sentais que je n’étais pas dans mon assiette en ce début de tournoi, que mon cerveau n’enclenchait pas !

Une partie de la « French Connection », avec Romain Edouard et Maxime Lagarde (Photo David Llada).

Ronde 5 : Mvl – Ju Wenjun (2575) 1-0

Le tournant du tournoi, face à la championne du monde en titre…

Dans la ligne de l’Anglaise 1.Cf3 d5 2.e3 Cf6 3.c4 e6 4.b3 Fe7 5.Fb2

Mvl-Ju Wenjun, ronde 5 ; « out of book » au 5e coup !

… je ne connaissais pas la sous-variante 5…dxc4. Du coup, après 6.Fxc4 c5, j’ai pris la décision d’y aller franchement avec 7.g4!?, après une réflexion de plus de 23 minutes plutôt rare chez moi. J’ai aussi pris en considération le fait qu’un plan normal avec 7.d4, voire même un d3/Cbd2, la laisserait dans sa zone de confort. J’allais donc l’en sortir de force ! Nous nous sommes ensuite un peu perdus dans les complications après 7…0-0 8.g5 Cd5 9.Cc3 a6.

Mvl-Ju Wenjun, ronde 5.

Ici, j’aurais sans doute dû choisir 10.Db1. J’ai préféré 10.Dc2 pour garder l’option Cxd5 suivi de Dc3, mais après 10…Cb4 11.De4, les noirs auraient pu mettre le feu à l’échiquier avec le courageux 11…b5!? 12.Dxa8 C8c6 (ou 12…Dc7!?). Elle a sans doute voulu être plus raisonnable avec 11…Fd7 12.Ce5 Fxg5, mais après 13.Tg1 (13.Dg2!?) 13…Ta7?! 14.Dg4!, j’ai obtenu l’avantage, malgré le caractère encore extrêmement nébuleux de la position. Je suis plutôt satisfait de la phase de conversion, notamment dans la position suivante :

Mvl-Ju Wenjun, ronde 5.

Je me doutais que 22.Ccd7 pouvait gagner tout de suite, mais 22.Txg7+ était trop tentant ! Après 22…Txg7 23.Txg7+ Rxg7 24.Cc6+ Rf8 25.Cxd8 Re7 26.Cdb7, avec un pion de plus et a5 faible, je n’avais aucun doute sur l’issue de la partie.

Ronde 6 : Artemiev (2709) – Mvl 1/2

Une nulle relativement tranquille contre le futur vainqueur du tournoi. Le plus marrant, c’est qu’il est arrivé devant l’échiquier tout surpris de me voir en face de lui. Etant seul en tête avec Navara, il n’avait pas pris soin de vérifier un appariement évident, oubliant au passage la possibilité offerte à Gibraltar de prendre des bye,ce qu’avait fait le n°1 tchèque pour cette ronde !

Partie contre le Russe Artemiev, futur vainqueur (Photo John Saunders).

Ronde 7 : Mvl – Tari (2625) 1-0

Nous avons discuté d’une variante de l’Anglaise symétrique que j’avais préparée la veille avec les noirs pour Artemiev, et lors de la ronde 2 avec les blancs pour Puranik, sans qu’elle apparaisse finalement sur l’échiquier dans les deux cas ! Une ligne qui donne un type de position probablement sans avantage pour les blancs, mais qui est dur à jouer.

Mvl-Tari, ronde 7 ; une position pas si inoffensive que ça.

Je m’attendais au coup normal 13…Fe6 (13…Fh3 est également possible), mais le champion du monde junior 2017 a joué 13…h6?!, sous-estimant les dangers de sa position après 14.Cd5 Cxd5 15.cxd5 Ce7 16.Cf2!. Sa position s’est alors transformée en une sorte de Benoni horrible, sans le contre-jeu normal à l’aile-Dame, jusqu’à la percée centrale décisive :

Mvl-Tari, ronde 7.

25.e5! Txf4 26.Txf4 Txf4 27.exd6 Dxd6 28.Cc4 Txc4 29.bxc4 Cf5 30.Fh3! donne une finale techniquement gagnante.

Ronde 8 : Le Quang Liem (2714) – Mvl 1/2

Le GMI Vietnamien a choisi une vielle ligne de la Grünfeld, que j’ai souvent jouée avec les deux couleurs.

Le Quang-Mvl, ronde 8 ; un effort de mémoire est requis.

Ici, j’ai failli jouer rapidement 16…Fc8, comme Caruana l’avait fait contre moi en 2013, lors de notre match de 1/4 de finale de Coupe du Monde, mais après 50 minutes de réflexion ! Je me suis quand même souvenu à temps que 16…Fd7 est meilleur, et après 17.dxc5 bxc5 18.Dxc5 Dxc5 19.Fxc5, je pouvais faire nulle immédiatement par 19…Fxc3! 20.Ta3 (20.Txa7 Txa7 21.Fxa7 Cc6 =) 20…Fg7 (20…Ff6? 21.e5) 21.Fxe7 Te8 22.Fd6 Txe4! (le coup que j’ai oublié). J’ai donc choisi 19…Fc6, et je me suis retrouvé un petit peu moins bien après 20.Txa7 Txa7 21.Fxa7 Cd7 22.Fd3!. Heureusement, mon activité pour le pion s’est quand même avérée suffisante.

Sur le grill d’une session de Questions-Réponses, avec Nigel Short (Photo John Saunders).

Ronde 9 : Mvl – Alekseenko (2637) 1-0

La partie typique d’une préparation qui se déroule merveilleusement bien !

Mon entraîneur Etienne Bacrot avait découvert l’idée nouvelle 19.dxc6 Cxc6 20.c4 pour une préparation ciblée contre Aronian. Nos analyses couvraient notamment la suite effective de la partie jusqu’à 25.Dg4.

Mvl-Alekseenko, ronde 9 ; toujours dans la prépa !

Ici, mon adversaire, qui avait déjà dépensé presque 1h simplement pour répondre à ma nouveauté, n’a pas trouvé le seul coup critique, 25…Cc2!. Je savais que 25.Cxf7 Cxe1 (25…Rxf7? 26.De6+) 26.De6 menait à la nulle, à condition de trouver le seul coup 26…Db8!, et je n’ai pas mieux que le perpétuel. J’aurais donc choisi 25.Tc1!?, et même s’il n’y a pas d’avantage objectif après 25…Db2, j’aurais quand même eu matière à continuer la partie par 26.Df5, voire 26.Cxf7, surtout contre un adversaire n’ayant plus que 15 minutes à la pendule !

Dans la partie, Alekseenko a sombré après 25…Ta7?! 26.h4 Cc6? 27.Fh6 Ff8 28.Cd7! et les blancs sont gagnants.

Ronde 10 : Karthikeyan (2570) – Mvl 1-0

Evidemment, je ne peux pas cacher le fait que mon tournoi s’est terminé en eau de boudin, avec cette défaite de dernière ronde contre un adversaire beaucoup moins bien classé que moi. Pourtant, tout avait commencé au mieux dans cette partie décisive pour le gain du tournoi…

Après mon choix de contrer la Najdorf 6.Fe3 avec 6…Cg4 et pas 6…e5, le jeune indien s’est mis à beaucoup réfléchir. Pourtant, j’ai joué à de nombreuses reprises l’un et l’autre coup ! Après la partie, il a pourtant admis n’avoir préparé que 6…e5. Du coup, il n’était clairement pas à son aise dans l’ouverture, a opté pour une ligne obscure objectivement pas terrible (12.Cf3?!), et j’ai très rapidement pris l’ascendant avec les noirs, après une série de coups de développement normaux.

Karthikeyan-Mvl, ronde 10 ; excès de précipitation.

Ici, le simple 16…Fxc3 maintenait un avantage clair. Mais j’avais déjà prévu de jouer 16…Tg8?, ce que j’ai fait très rapidement, avant de me rendre compte que je laissais les blancs résoudre tous leurs problèmes après 17.Cd5! Dxd2 18.Txd2. Pour ne pas rester sans aucune autre ambition que la nulle après le « normal » 18…Fxd5 19.exd5, j’ai décidé de compliquer le jeu par 18…Fh6 19.Tdd1 f6, mais ça s’est retourné contre moi. Surtout que quand on prend une aussi mauvaise décision que 16…Tg8?, on entre dans une spirale négative, une erreur en appelant souvent d’autres. Par la suite, j’ai eu beau tendre de jolis pièges tactiques, mon adversaire a très bien navigué dans les complications, et ne m’a guère laissé de chances.

Dernière ronde, après 10…h5 ; jusqu’ici, tout va bien… (Photo David Llada)

Une partie à oublier d’urgence, et sans doute quelques enseignements à en tirer pour la suite…

En parlant de la suite, je sais maintenant que je ne disputerai aucune compétition officielle avant fin avril ou début mai, après quoi les tournois s’enchaîneront en revanche très vite tout au long de l’année.

J’ai donc trois mois devant moi pour effectuer tous les réglages nécessaires !

Site officiel : https://www.gibchess.com/

https://www.youtube.com/watch?v=iFNbTdLfBwQ

Peu après son retour de Gibraltar, Maxime a participé au tournoi mensuel de blitz sur www.chess.com « Titled Tuesday », qui regroupe toujours un nombre impressionnant de forts GMI. Tout en streamant ses parties en direct sur la chaine www.twitch.tv/mvlchess , il a réalisé le score honorable de 8/10. Insuffisant toutefois pour espérer titiller un Grischuk en feu, qui l’a emporté avec 9 victoires consécutives et une nulle rapide pour finir !

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